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Innovation

Trouver sa place dans l'économie circulaire

Publié le 3 juillet 2015

Passer d’un système linéaire à un modèle de recyclage et de récupération c’est tout le défi de l’économie circulaire. Si certains industriels commencent sérieusement à s’y intéresser, de nouveaux modèles sont encore à inventer, au sein desquels, la logistique, élément stratégique de la distribution doit prendre sa place. À quels défis et enjeux s’agit-il de répondre ?

1. Economie circulaire Un schéma de rupture

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Parce qu’elle repose sur la transition vers de nouveaux modèles, de récupération, recyclage, refabrication des produits, l'économie circulaire impose de repenser les schémas de production traditionnels et de ce fait, bouleverse la supply chain.

« Contrairement à l’économie linéaire, qui s’appuie sur une exploitation sans limites des ressources, l’économie circulaire repose sur l’utilisation en boucle des matières et des produits », introduit Rémy Le Moigne, consultant en supply chain et auteur de l’ouvrage L’économie circulaire, comment la mettre en oeuvre dans l’entreprise grâce à la reverse supply chain ? (Ed. Dunod*).   

 

Sous la problématique « Comment la logistique peut-elle répondre aux besoins de l’économie circulaire ? », le Club Déméter, association visant à intégrer le développement durable chez les acteurs de la chaîne logistique, faisait le sujet général de son rendez-vous annuel en novembre dernier. « On perçoit au Club Déméter, un intérêt fort à comprendre les sujets qui gravitent autour du concept d’économie circulaire et qui sont compatibles avec les enjeux de la supply chain durable. C’est un sujet complétement connecté à l’ADN de Déméter sur lequel nous allons de plus en plus réfléchir pour trouver des pistes, des expérimentations et des projets de collaboration avec les entreprises qui fondent le Club », détaille Julien Darthout, associé chez CPV Associés.

 

Un sujet d’actualité, voire un nouveau modèle de développement donc. Tout le monde en est-il aujourd’hui bien conscient ? « Non, mais, la nature est là pour nous le rappeler », juge François-Michel Lambert député Europe Écologie les Verts (EELV) et Président de l’Institut de l’économie circulaire. « Le postulat de base, c’est que nous ne pouvons continuer dans un modèle de gaspillage de ressources, qu’elles soient d’origine renouvelable ou non, dans un monde aux ressources finies et aux capacités de régénération limitées. Cela s’impose donc à nous, mais nous ne savons pas encore mesurer le temps que va prendre la transformation de notre modèle ».

 

Un sujet d’intérêt

Pourtant, bien que le thème soit traité, il est encore loin d’être pris en compte et considéré de manière globale : « Si l’économie circulaire devient un sujet d’intérêt pour les directions générale, stratégie ou développement durable, elle est encore peu abordée par les directions logistiques », regrette Rémy Le Moigne. « On ne parvient pas encore à créer une vraie transversalité intégrant tous les acteurs. Or, l’économie circulaire ne doit pas se limiter au monde industriel et à ses acteurs habituels. Pour se mobiliser, il s’agit de se tourner aussi vers les collectivités, les citoyens, car chacun, à un moment donné, fait partie de la chaîne », poursuit François-Michel Lambert. Cela compte d’ailleurs parmi les missions que s’est fixé l’Institut de l’économie circulaire au moment de sa fondation : « Nos objectifs : faire rentrer l’économie circulaire dans les stratégies politiques, qu’elles soient nationales ou territoriales, mais aussi dans les entreprises. L’autre versant consiste à produire du savoir à travers des ateliers. Plusieurs ont été lancés sur le statut du déchet, sur les zones industrielles et portuaires, sur l’économie de fonctionnalité**… », détaille son président.

 

Aujourd’hui, si l’intégration de l’économie circulaire n’a pas provoqué un raz-de-marée chez les industriels, certains en font néanmoins le choix et parfois même impliquent leur logistique. Illustration avec le groupe Orange qui possède son propre département dédié à la fonction de logistique inverse. Cette dernière gère trois types de produits (les téléphones mobiles, les équipements ADSL et les équipements des réseaux de téléphone) au coeur d’un processus en cinq étapes : contrôle des retours, collecte et tri, test et remise en état des produits usagés, démantèlement de ceux en fin de vie et analyse qualité. « Dans d’autres entreprises, les industriels travaillent avec des gestionnaires de déchets qui règlent ce flux de retour », indique Rémy Le Moigne. Dans son ouvrage, il explique que pour répondre aux besoins de l’économie circulaire, il s’agit notamment de mettre en oeuvre une logistique inverse performante au niveau du coût, du délai et de la qualité.

 

Une équation complexe qui peut paraître un vain mirage pour les industriels. « Aujourd’hui, avec un prix du baril aux alentours de 50 dollars, des produits comme le plastique vierge coûtent moins cher que le plastique recyclé. Donc, dans le cadre réglementaire et économique, les modèles d’économie circulaire ne sont pas tous rentables. Il existe néanmoins beaucoup de cas où cela s’avère très profitable ». Exemple ? Renault a mis en place le recyclage matière, des solutions de collecte et de réemploi de pièces, la transformation de matières issus de déchets.

 

La reverse supply chain

Si la transition vers l’économie circulaire se révèle complexe, c’est qu’elle compte plusieurs obstacles : « coût de collecte des produits usagés trop élevé, processus de recyclage encore très complexes pour certaines matières, demande fluctuante… », indique Rémy Le Moigne. Des embûches ressenties sur les trois maillons de la chaîne : le premier, celui de la logistique inverse, consistant à aller chercher les produits usagés (la récolte), le second, à les recycler (la rénovation), et le troisième à les remettre sur le marché (la revente). Les deux derniers maillons demandent encore « certaines améliorations » explique ce dernier : « On éprouve des difficultés dans la rénovation du plastique par exemple car aujourd’hui les technologies ne sont pas toujours au point », ainsi que dans la revente qui, si elle fonctionne très bien sur certains produits à l’instar du papier, s’avère plus subtile à réaliser sur d’autres : « On a ainsi plus de mal à vendre des pneus réchapés que des neufs ».

 

Mais là où le bât blesse le plus, selon lui, c’est dans le premier maillon, et sa complexe gestion de retours des produits. Car « si, dans une supply chain, les entreprises choisissent ou connaissent la qualité, la quantité et les délais de livraison des produits qu’elles commandent à leurs fournisseurs, dans une reverse supply chain, elles ont un choix beaucoup plus limité. Elles sont souvent approvisionnées en produits dont elles ne choisissent ni la qualité, ni la quantité ni encore les délais de livraison », détaille Rémy Le Moigne dans son ouvrage. D’autant que la logistique inverse est aujourd’hui rarement la priorité des entreprises : « Pour les industriels, l’optimisation de la chaîne logistique s’arrête lorsque le produit est vendu. Il en existe peu qui ont mis en place une direction de la logistique inverse », observait-il lors des derniers Rendez-Vous Déméter.

 

Est-il alors plus intéressant de conserver sa reverse logistic en interne ou de la confier à des prestataires ? « Dans la plupart des cas, il vaut mieux la sous-traiter pour plusieurs raisons. Pour la majorité des produits il est difficile d’optimiser les flux retours car ils peuvent être constitués entre autres de déchets et venir perturber les flux. C’est une logistique différente qui demande une expertise supplémentaire et les industriels préfèrent souvent la sous-traiter à un autre acteur ». Démonstration à l’appui avec IBM qui avait mis en place un réseau de reverse logistic mondial pour gérer ses flux de rapatriement d’ordinateurs et a finalement externalisé cette opération à Geodis, le prestataire logistique ayant en 2008 fait l’acquisition de Global Logistics, plateforme mondiale de pilotage des activités logistiques d’IBM.

 

La ressource au centre

Si une bonne gestion du maillon de la logistique retour permet d’acquérir une certaine performance, il ne faut néanmoins pas uniquement se concentrer sur elle « pour obtenir le résultat attendu », selon le député François-Michel Lambert. « La logistique, c’est le pilotage des flux physiques et financiers par les flux d’information. C’est ce que l’on doit avoir en tête. Il ne s’agit pas seulement de se questionner sur la reverse logistic mais sur ce qui se passe tout au long de la chaîne. Les logisticiens, les 4PL possèdent aujourd’hui un atout extraordinaire pour suivre les produits, et demain pour suivre les matières dans les produits, en devenant peut-être même les détenteurs de ces matières. On peut imaginer par exemple qu’une entreprise qui détient du cuivre le mette à disponibilité durant 30 ans dans un moteur électrique avant de le récupérer, le rénover et le réinjecter. Dans 10 à 20 ans, quand on entrera dans une phase de raréfaction des matières, il existera des sociétés beaucoup plus transversales, capables de répondre à des usages très différents avec une même matière », augure-t-il.

 

Une démarche déjà amorcée par le groupe néerlandais Philips qui, suite à un partenariat noué avec la Fondation britannique Ellen MacArthur***, ne vend plus les ampoules mais de la lumière, conservant la propriété des éclairages LED, (dans les rues de Buenos Aires et de Singapour ou dans les équipements de parking de Washington) et facture ensuite la consommation aux municipalités. « Il demeure ainsi propriétaire des matières premières utilisées pour fabriquer ses ampoules qu’il récupère en fin de vie et peut ensuite réutiliser comme il le souhaite. Nous nous dirigeons vers ce type d’activités », juge François-Michel Lambert.

 

Pourquoi, alors, en dépit de ces enjeux économiques et écologiques, l’économie circulaire n’est-elle pas encore largement adoptée ? C’est la question que se pose Rémy Le Moigne dans son ouvrage et à laquelle il ébauche une réponse : « Sans doute parce que la résistance de l’économie linéaire est forte. Durant des décennies, notre économie a optimisé le modèle linéaire “extraire-fabriquer- consommer-jeter” dont il est difficile aujourd’hui de sortir […] ». Malgré des perspectives intéressantes, un travail important reste à réaliser notamment auprès des logisticiens qui, paradoxalement, malgré leur connaissance des flux physiques de matières, se montrent absents sur le sujet. « Leur expertise et leurs compétences font partie des clés de cette transformation et il est temps que ce monde-là s’intéresse pleinement à l’économie circulaire et commence à intervenir, notamment en matière de programme de recherches, voire en réflexions de prospectives et de bouleversements des modèles actuels », commente le député.

 

Les choses pourraient changer. Ainsi, Deutsche Post DHL, a annoncé, le 11 février dernier, qu’il allait développer de nouveaux modèles logistiques pour l’économie circulaire afin de « permettre une réutilisation, un reconditionnement et un recyclage plus efficace des produits et éviter le gaspillage ». L’entreprise spécialisée dans le transport et la logistique est aujourd’hui affiliée aux « 100 de l’économie circulaire » de la Fondation Ellen MacArthur.

 

Rémy Le Moigne observe, quant à lui, que dans une démarche d’économie circulaire, le recyclage ne constitue bien souvent pas le coeur du métier de l’industriel. S’il peut se révéler dans certains cas intéressant d’intégrer cette compétence, il est dorénavant plus fréquent d’observer la création de co-entreprises associant l’industriel et l’entreprise qui récupère le produit et va lui donner une seconde vie. « Coca-Cola a mis en place une coentreprise avec Appe, un recycleur de plastique, Renault avec Suez Environnement, pour la gestion des véhicules en fin de vie ou Airbus pour la gestion des avions en fin de vie », rappelait-il lors des Rendez-Vous Déméter.

 

« L’évolution apparaîtra grâce à des challengeurs : peut-être une start-up ou encore une entreprise qui réalise un virage stratégique en intégrant une approche d’économie circulaire dans son offre, en mettant la ressource, c’est-à-dire la matière au centre pour qu’elle soit utilisée à son optimum, préservée, transmise d’usage en usage ou de génération en génération. Aujourd’hui, nous rentrons dans un monde où tout est possible, ce n’est qu’une question de temps de construction mais toutes les briques sont là », conclut François-Michel Lambert.

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