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Désigné coupable : le transporteur dans la ligne de mire des e-consommateurs

Les consommateurs ont-ils des présupposés sur l’identité du fautif en cas de défaillance de livraison d’un achat en ligne ? Retour sur une étude menée par Laure Jacquemier, Sophie Jeanpert et Sophie Claye-Puaux de l'université d'Aix-Marseille et membres du Cret-Log (Centre de recherche sur le transport de la logistique).

Publié le 7 février 2023 - 09h00
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Adobe Stock | Egoitz

Les consommateurs ont-ils des présupposés sur l’identité du fautif en cas de défaillance de livraison d’un achat en ligne ? Une étude menée auprès de 118 consommateurs confirme l’hypothèse intuitive selon laquelle, en l’absence d’information sur les causes réelles de non livraison, le transporteur du dernier kilomètre est spontanément plus incriminé que le e-commerçant. Dans le scénario auquel nous l’avons soumis, le consommateur ne sait pourtant pas ce qui a empêché la livraison, prévue à son domicile, d’un vélo acheté en ligne. Le e-commerçant pourrait parfaitement ne pas avoir mis l’article à disposition du transporteur, ou avoir fait une erreur dans la transmission des informations ; il n’importe : aux yeux du consommateur, la faute, dans les trois dimensions qu’elle revêt, revient a priori plus au livreur. On observe en effet que le consommateur localise la cause de la défaillance significativement plus chez le transporteur (locus de la faute), qu’il estime que celui-ci est plus en mesure d’éviter l’incident (contrôlabilité de la faute) et qu’il le pense plus régulièrement à l’origine de telles défaillances (stabilité de la faute). Rien de surprenant à cela : en tant que dernier maillon de la chaîne logistique, qui incarne la rencontre de service en effectuant l’acte de livraison, le transporteur est un fautif tout désigné si la livraison n’a pas lieu. L’attente de réparation de service est quant à elle tournée à parts égales vers le e-commerçant et le transporteur, que le consommateur estime tous deux également responsables de la mise en œuvre d’une solution.

 

Figure 1 : Attribution de la faute et de la responsabilité de la réparation par le consommateur

 Attribution de la faute et de la responsabilité de la réparation par le consommateur

 

 

Les choses s’aggravent encore pour le livreur quand le consommateur est plus familier des achats en ligne, des livraisons à domicile et des défaillances de livraison. Cette plus grande expérience de ces situations dirige plus fortement ses récriminations vers le transporteur. On peut avancer à cela deux explications. En tablant sur la rationalité du consommateur, une explication résiderait dans le fait que celui-ci a effectivement observé par le passé une responsabilité objective plus importante du transporteur, ce qui a alimenté ses représentations. En considérant cette rationalité discutable, une autre explication tient dans les phénomènes de consolidation de croyances, par lesquels une forme d’avarice cognitive (la première explication satisfaisante – « le transporteur est fautif » – étant retenue sans un effort méthodique de recherche des causes) est renforcée dans le temps par un biais de confirmation, c’est-à-dire par une rétention des informations susceptibles de confirmer ses croyances et une imperméabilité à celles de nature à les contredire.

 

Autre déconvenue pour le transporteur : si le consommateur estime l’incident grave, sérieux, sa tolérance à l’erreur diminue et il renforce encore plus ses récriminations à son encontre, alors que son jugement à l’égard du e-commerçant n’est pas impacté. En revanche, il attend dans ce cas plus fortement réparation de la part du e-commerçant : son désir de justice se tourne plus fortement vers le webmarchand, de qui émane la promesse de service lors de l’achat en ligne.

 

Réparer la défaillance de livraison


Quelles conclusions tirer de ces enseignements ? Les e-commerçants bénéficient du rôle d’amortisseur joué par les transporteurs et ont en ce sens intérêt à afficher clairement qui est en charge de la livraison, mais ils auraient bien sûr tort de penser que cet effet de tampon les préserve totalement : les consommateurs les blâment aussi, bien que moindrement, lorsqu’un produit acheté n’est pas livré au jour dit. La fiabilisation des processus logistiques, la sélection attentive des prestataires et la mesure des taux de service demeurent pour eux d’absolue nécessité pour assurer la satisfaction du client. Il peut aussi être judicieux pour eux de proposer un choix de livreurs au consommateur, afin que celui-ci évite un transporteur avec lequel il aurait connu des défaillances de service sans pour autant qu’il se détourne du site marchand.

 

De leur côté les transporteurs ont intérêt à informer les consommateurs sur les difficultés rencontrées en cas de non livraison, de manière à corriger les raccourcis cognitifs des clients. Dans cette perspective, les livreurs proposant un suivi d’expédition en temps réel sont dans une démarche d’information proactive qui peut éclairer le consommateur. Les outils de tracking sont de plus probablement de nature à rassurer le consommateur sur le professionnalisme du transporteur et à le rendre moins sévère dans son jugement en cas d’incident. En prolongeant cette idée, les transporteurs devraient renforcer leur visibilité auprès des consommateurs également quand le service se déroule bien, afin de se créer un capital de confiance et d’image qui les protège. Les entreprises qui jouissent d’une image positive sont en effet moins sévèrement incriminées par les clients en cas de défaillance. Les transporteurs gagneraient ainsi à adopter des démarches de marketing relationnel, qui seront non seulement propres à sécuriser leurs liens avec les consommateurs, mais aussi avec les e-commerçants, qui ont tout intérêt à travailler avec des partenaires dont l’image positive peut rejaillir sur eux.

 

Il est enfin manifeste, pour les deux acteurs, que la défaillance de livraison, si elle survient, doit être réparée au mieux afin de restaurer l’opinion et la satisfaction du client et d’éviter les comportements négatifs comme l’intention de ne plus acheter ou la diffusion d’avis négatifs. La question est alors de savoir par qui le protocole de réparation est piloté, de quelle manière il est mis en œuvre et qui en tire le plus grand bénéfice.

 

 

Pour en savoir plus : Claye-Puaux, S., Jacquemier-Paquin, L. et Jeanpert, S. (2023), « Attribution des défaillances de livraison des achats en ligne : le transporteur toujours fautif aux yeux du consommateur ? », Logistique & Management, https://doi.org/10.1080/12507970.2023.2165184

 

Présentation de l'auteur

Sophie Claye-Puaux est maître de conférences en sciences de gestion à l'université d'Aix-Marseille et membre du Cret-Log (Centre de recherche sur le transport de la logistique).

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