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L'internet physique en ordre de marche

Publié le 12 novembre 2015

Afin de relever le challenge de la logistique durable et réduire ses émissions de gaz à effet de serre, la supply chain doit-elle envisager un nouveau modèle ? Certaines voix se font de plus en plus entendre et vantent les mérites de l’Internet physique, principe basé sur l’interconnexion universelle des réseaux de services logistiques.

1. Logistique durable : De l'urgence d'un changement de modèle

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La supply chain est dans une situation antagoniste sans précédent : alors que ses performances en matière de flux, de fréquence de livraison, de délai ou encore de coût n’ont jamais été aussi louées, elle se voit dans l’obligation de revoir tout ou partie de son organisation.

Pourquoi remettre en cause un système où il est si facile de trouver des produits de toutes origines, sans attendre, et à un coût d’acheminement relativement imperceptible pour le client final ? Parce que cette efficacité conduit à un usage croissant des moyens logistiques, entraînant des effets négatifs, notamment écologiques, aux conséquences de plus en plus graves. La chaîne d’approvisionnement doit à tout prix réduire de manière drastique son impact environnemental et en premier lieu ses émissions de CO2, pour répondre au grand challenge de la logistique durable.

 

Depuis plusieurs années, certaines personnes réfléchissent déjà sur la pertinence du modèle actuel et étudient d’autres voies, notamment technologiques, pour en proposer un nouveau. C’est notamment le cas d’Éric Ballot, professeur au Centre de gestion scientifique des Mines ParisTech, spécialisé dans les systèmes de production et de logistique, qui est l’un des chercheurs associés au projet “Initiative pour l’Internet physique”, un concept qui s’inspire du principe fondamental d’interconnexion universelle des réseaux hétérogènes du Web pour le transposer aux réseaux des services logistiques.

 

« L’idée est d’essayer d’appliquer à la supply chain ce qu’il s’est passé dans les réseaux de données et les réseaux informatiques. L’ensemble des protocoles utilisés pour le transfert des données sur l’Internet, les réseaux informatiques étaient hétérogènes et non interfaçables entre eux, mais la suite TCP/IP a permis de les interconnecter. Dans la logistique, ces réseaux existent déjà, mais ils sont loin d’être interconnectables. Chaque entreprise a son maillage comme chaque individu a sa voiture. L’idée de l’Internet physique est donc de rendre ces réseaux plus ouverts afin qu’ils soient compatibles les uns avec les autres et partagés par l’ensemble des acteurs de la chaîne logistique », explique Éric Ballot.

 

Trop d’émission de gaz à effet de serre

Dans son manifeste en faveur de l’Internet physique, le groupe de chercheurs affirme « que la manière dont la logistique est actuellement réalisée n’est pas durable : nous expédions plus d’air et d’emballages que de produits, les voyages à vide sont plus la norme que l’exception, les déplacements inutiles également, les systèmes de stockages sont plus souvent sous- ou mal utilisés, les palettes n’entrent pas optimalement dans les conteneurs, etc. Les réseaux de transport et de logistique ne sont ni sécurisés ni robustes et la variété des matériaux et des formes transportés rend difficile l’automatisation systémique même avec l’utilisation de puces intelligentes ». L’ambitieux objectif est donc de rendre la logistique beaucoup plus efficiente qu’elle ne l’est aujourd’hui, la performance se faisant au détriment de l’optimisation des moyens.

 

Pour Éric Ballot, la situation est urgente : « Les limites de l’utilisation des moyens de transport et des émissions de CO2 au sens général sont déjà atteintes, mais nous fuyons la réalité. Le transport de marchandises est le secteur qui a le plus fort taux de croissance de gaz à effet de serre. C’est totalement incompatible avec des objectifs de limitation du réchauffement climatique à deux degrés et de réduction de 60 % des émissions de transport à l’horizon 2050. Soit on s’en fiche, mais à terme la situation ne sera pas tenable, surtout quand les Chinois auront autant d’intensité logistique que nous, soit on décide de prendre les choses en main. Je ne pointe pas les transports du doigt, ils ne font que répondre à une demande générée par les chaînes logistiques. »

 

Des conteneurs intelligents

L’une des clés de l’Internet physique repose sur un réseau de conteneurs intelligents interconnectés, qui “encapsuleraient” toutes les marchandises dans des conteneurs modulaires standardisés afin de minimiser les pertes d’espace. Des projets étudient la conception d’un conteneur modulaire en plastique pour camions ou trains, traçable à l’unité et clipsable avec d’autres boîtes, de manière à être manipulé en une seule fois. « La standardisation et la mise en boîte sont des leviers pour favoriser l’automatisation des chaînes, comme le conteneur a été un standard pour favoriser l’automatisation du transport maritime, dont l’Internet physique s’inspire. Les lignes sont partagées par une foultitude de clients. Pourquoi ne pas essayer de prolonger cette logique à la logistique continentale voire même urbaine ? », s’interroge-t-il.

 

Les centres de routage collaboratifs, ou CRC, constituent également une composante importante du projet. Centres locaux de mutualisation et de collaboration inter-entreprises, ils visent à réorganiser les flux, en assurant leur regroupement par client pour les industriels et leur regroupement local pour les distributeurs. Le but est d’optimiser le remplissage des camions transportant des marchandises, désormais non-propriétaires et qui auront adhéré au préalable à une charte de fonctionnement. « Il s’agit de passer d’un système de transport point à point à un système de transport intermodal en minimisant les déplacements. L’idée principale est de créer des routeurs, des centres logistiques, chargés uniquement de déplacer des paquets pour leur faire prendre la bonne direction, mais de manière distribuée et répartie. Cette initiative pourrait permettre à horizon 2030 de faire passer le taux de remplissage des camions à 80 %, réduire les gaz à effets de serre de 60 % et diminuer jusqu’à 35 % les coûts logistiques. Un projet pilote de centre de routage collaboratif multifournisseur et multiclient, financé par l’Ademe et mené en collaboration avec FM Logistic, GS1 France ou encore 4S Network, a d’ailleurs démarré début 2015 dans le Sud-Est de la France », précise-t-il.

 

Mise en place à partir de 2020

Avec l’Internet physique, les nombreuses initiatives de mutualisation de stockage, de transport et de livraison apparaissent comme de simples étapes intermédiaires. Nul ne sait si le concept est en passe de s’imposer. Cela dit, Alice, la nouvelle plateforme technologique pour l’amélioration de la logistique dans l’Union européenne, qui regroupe un plateau d’une centaine d’entreprises, a lancé une feuille de route vers le modèle. Une initiative dont se félicite Éric Ballot : « C’est un puissant levier d’expérimentation, de financement et de mise en oeuvre. Les Sud-Coréens veulent faire la même chose. Si les Chinois s’y mettent, cela peut être rapide. Cela permet de donner une cohérence et un coup de main a de nombreux projets qui, sinon, restent cantonnés dans leur micro-univers. La logistique s’est développée localement, historiquement et par secteur, donc il est normal que rien ne soit compatible. Mais aujourd’hui, il me semble important d’essayer de trouver un peu plus de cohérence. »

 

Pour le chercheur, l’Internet physique est une révolution globale et complète de la supply chain qui ne devrait pas accoucher d’un big bang brutal, du jour au lendemain, mais plutôt d’une mise en place progressive à partir de 2020. Cependant, une question persiste : dirigeants d’entreprises, directeurs supply chain, transporteurs, tous les acteurs sont-ils prêts à se concerter pour partager leurs flux ? Seuls les (futurs) gains peuvent y répondre…

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