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Ukraine : « Dans cette guerre hybride, la supply chain devient un terrain de conflit »

Prix du transport, répercussions sur les flux logistiques, risques de pénuries, menaces cyber... Thibaud Moulin, associé au sein du cabinet de conseil Kyu Associés, évoque les périls encourus par la supply chain à court et moyen terme, suite au conflit en Ukraine.

Publié le 2 mars 2022 - 11h01
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Kyu Associés

Dans votre dernier "Baromètre des risques supply chain" (voir encadré), le risque géopolitique ne figurait pas dans le Top 10 des menaces évoquées… Que ressortait-il de cette étude ?

Il n’était en effet clairement pas vu comme un des risques majeurs par les répondants. En revanche, ceux qui avaient été identifiés risquent de s’accroître du fait de ce risque géopolitique. Ce qui est en train de se passer en Ukraine ne fera qu’augmenter toutes les tensions déjà présentes dans le Baromètre, notamment le premier risque qui concerne le manque de capacité sur la supply chain avec beaucoup de fournisseurs et de sous-traitants en pénurie d’emplois. Une situation qui touchait déjà beaucoup l’Europe de l’Est et qui ne devrait pas décroître, à moins que la crise ait un impact important sur l’inflation conduisant à diminuer la croissance et la consommation et ainsi limiter cette tension sur la supply chain en termes capacitaires. Mais pour l’instant, l’inflation et la consommation restent importantes... Il s’agit donc d’observer ce qui se passe dans les prochains mois.


Quels sont les impacts immédiats de cette guerre sur les supply chain mondiales ?

La hausse du prix du pétrole a d’ores et déjà des conséquences sur le coût des transports qui est en train d’exploser alors qu’il était déjà très haut. Le prix d’un transport par conteneurs entre Shanghai et Los Angeles évoluait déjà entre 20 000 et 30 000 dollars et il devrait augmenter. Cela aura un impact important sur les industriels dans tous les domaines et sur la supply chain des entreprises qui vont vouloir reporter ces coûts sur leurs clients, ce qui va fragiliser des petites entreprises. Dans des supply chains ultra compétitives comme l’automobile, on observe déjà un impact coût très important. Ensuite, en matière de flux logistiques purs, cela pourrait entraîner des répercussions sur le transport ferroviaire Chine-Europe : durant la crise du Covid, beaucoup de flux se sont mis en place sur cet axe étant donné que le transport maritime était complétement surchargé. Cette route pourrait être difficile à conserver, entraînant une augmentation des pénuries liées au manque de capacités logistiques.


Quels sont les autres risques qui pourraient peser sur les supply chain mondiales à plus long terme ?

La Russie et l’Ukraine sont des fournisseurs de matières premières dans deux domaines principaux : le premier est l’agriculture, la Russie et l’Ukraine représentant à eux deux un tiers de la production de blé dans le monde et l’Ukraine étant un gros exportateur d’huile de tournesol. Si en France, nous sommes a priori suffisamment capacitaires sur les productions d’oléagineux, cela aura néanmoins un impact sur les coûts des entreprises, des sous-traitants, mais aussi des agriculteurs qui pourraient se trouver dans des situations difficiles. Dans d’autres pays, cela devrait même conduire à des pénuries, ce qui va encore alimenter l’inflation. Le second domaine concerne les métaux, la Russie et l’Ukraine étant de grandes puissances sidérurgiques qui alimentent l’Europe en acier, aluminium, cuivre, nickel ou encore platine. Avec les sanctions que nous imposons à la Russie, les cours des marchés sur les métaux vont continuer à monter. D’autres points sont également critiques : le titane pour l’aéronautique, qui est fabriqué par la Russie et par l’Ukraine et représente 30 % du titane mondial, le néon et plusieurs métaux précieux entrant dans la fabrication des semi-conducteurs, et le lithium, essentiel aux batteries, ce qui devrait avoir des impacts potentiels sur l’automobile.


Une crise de ce type confirme-t-elle la nécessite de mettre en place des supply chain plus résilientes et plus locales ?

Elle renforce cette nécessité d’identifier où se trouvent les sources d’approvisionnements, les fournisseurs des fournisseurs, pour des raisons de résilience, mais aussi de conformité RSE. Elle montre que s’appuyer sur des ressources en matières premières qui sont de rang 2, de rang 3 ou de rang 4 et ne pas le savoir, c’est se mettre en risque. C’est particulièrement criant avec la Russie et l’Ukraine, car ce sont essentiellement des fournisseurs de matières premières.


Cette problématique d’identification des sous-traitants avait déjà été évoquée lors de la crise sanitaire, les comportements ont-ils évolué sur le sujet ?

Les mentalités évoluent, les grands donneurs d’ordres sont clairement en train de s’équiper, de renforcer leur capacité à avoir cette visibilité-là et de travailler à remonter ces filières en identifiant leurs fournisseurs. Ils réfléchissent à des modélisations ainsi qu’à réinvestir dans des stocks et trouver des voies alternatives de transport. Depuis 2021, tout le monde s'est lancé sur ces sujets et a commencé à y travailler. Mais qualifier un nouveau fournisseur ou mettre en place un nouveau schéma universel prend du temps, alors que les crises, elles, s’enchaînent.


Le risque cyber fait également partie des menaces identifiées par votre Baromètre, il est plus que jamais d’actualité aujourd’hui…

Durant la crise Covid, nous avons observé une remontée de la perception de ce risque-là. En 2020 et 2021, un grand nombre d’attaques ont touché la supply chain logicielle, amenant la perception de ce danger à augmenter. Il y avait déjà eu un précédent, l’attaque cyber NotPetya en 2017, qui avait touché Maersk et Saint-Gobain. Fruit d’une attaque de la Russie contre l’Ukraine, elle avait finalement essaimé dans beaucoup entreprises au niveau mondial. Aujourd’hui, dans cette guerre hybride, la supply chain devient un terrain de conflit, un moyen pour les belligérants de s’attaquer, de contre-attaquer, de mettre à mal l’ensemble d’une industrie ou d’une économie par ce biais.

Kyu publie la 3e édition de son Baromètre des risques supply chain

Pour sa troisième édition, le cabinet de conseil Kyu Associés a publié son « Baromètre des risques supply chain 2021 », réalisé en partenariat avec les Arts & Métiers, l’Amrae et France Supply Chain. Intitulé « La supply chain face à l’incertitude », il a interrogé plus de 600 professionnels de la chaîne logistique (directeurs achats, risk managers, directeurs supply) et a complété ces réponses par des interviews. Dix risques principaux ont été identifiés par les sondés qui ont ensuite été analysés : le manque de capacités de production, l’engorgement logistique mondial, les attaques cyber, la relocalisation des achats, l’incertitude sur la demande, le risque sanitaire, la crise économique, les catastrophes naturelles, le risque qualité et la non-conformité vis-à-vis des exigences RSE. Le Baromètre est par ailleurs complété d’un retour sur les crises actuelles, d’une cartographie des risques et d’une exploration des pistes d’amélioration mettant à jour cinq axes pour développer la supply chain de demain : la visibilité, l’agilité, la durabilité, l’adaptabilité et la sécurité.

 

> Cliquez ici pour accéder à l'ensemble du Baromètre

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