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Une supply chain durable et responsable : mode d’emploi ?

Une tribune d'Anicia Jaegler, professeur senior à Kedge Business School, grande école de commerce et de management.

Publié le 3 avril 2023 - 17h00
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Image de Freepik

Durable ? Il serait temps… Le Groupement intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) a rédigé son sixième rapport et dresse un constat très alarmant. Sur les neuf limites planétaires, reprises dans les travaux de Kate Raworth (1), six sont dépassées : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, les perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore, les changements d'utilisation des sols, la pollution chimique, l'utilisation de l'eau douce.


Responsable ? La logistique est responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre (Agence de l’énergie) ; l’industrie 13 %. La production d’énergie est la première source de consommation d’eau. Les entrepôts ont un fort impact sur le changement d’utilisation des sols. La liste est longue. Le but n’est pas de trouver un ou une responsable mais bien de rendre ensemble les supply chains plus responsables !


« Si l’avenir du management de la supply chain ne peut être que durable et responsable, il est aussi très dépendant des évolutions technologiques et sociologiques à venir. » (2)

 

Un mode d’emploi à suivre

 

Pour rendre durable et responsable une supply chain, il faut en avoir une vision globale au-delà des frontières de l’entreprise elle-même pour améliorer chaque flux et chaque activité. Une idée qui semble bonne à l’échelle locale est potentiellement une mauvaise idée à l’échelle globale si les transferts d’impacts ne sont pas pris en compte. Avec en tête l’ensemble des flux de la supply chain, une analyse organisée s’impose pour :
1) Structurer la supply amont en éco-concevant et en achetant de manière durable et responsable.
2) Optimiser la supply chain interne sans oublier le pilier social en gérant et entreposant durablement.
3) Déployer la supply chain aval en réfléchissant aux emballages, en mettant en place une logistique inverse et en décarbonant les transports.
4) Avoir une approche holistique via des certifications et une stratégie d’amélioration de la performance.

 

 

De bonnes pratiques pour s’inspirer

« Déployer les bonnes pratiques d’une supply chain durable, c’est ouvrir le champ des possibles pour demain. » (3) Citons-en quelques-unes.


L’écoconception illustre très bien l’importance d’une approche globale. La roue de Brezet (4), en intégrant le cycle de vie complet du produit, montre l’ensemble des impacts d’un changement de conception tant sur les achats que la logistique ou encore l’utilisation et la fin de vie du produit. Le produit éco-conçu simplifie par exemple la logistique inverse et renforce les liens avec les fournisseurs car il est généralement co-réfléchi. L’indice de réparabilité instauré sur certains produits permet aux industriels de communiquer auprès des consommateurs. L’industriel éco-conçoit son produit en mettant en place une logistique inverse, le consommateur fait réparer son produit au lieu de le remplacer. En collaborant, ils diminuent l’utilisation de matières premières, la consommation d’énergie liée à la production et aux transports, les déchets, etc.


Le management durable est un maillon essentiel. Un management durable est basé sur l’engagement à travers la confiance, la transparence, l’écoute et l’esprit d’équipe. Dans un contexte de pénurie de talents, mettre les femmes et les hommes au cœur du fonctionnement est essentiel. La lutte contre toutes les discriminations, la mixité au travail, l’égalité des chances pour l’accès aux postes d’encadrement représentent autant d’objectifs. Le modèle pour l’inclusion de Patrick Scharnitzky et Pete Stone (5) propose un cadre structuré pour définir les objectifs à atteindre. Il repose sur quatre objectifs : unicité et partage, transversalité, sentiment de justice et d’équité et coopération intégrative.


Les entrepôts sont de gros consommateurs d’énergie. Une matrice de réduction de consommation d’énergie a été créée (6). L’analyse est complétée par une étude sur l’optimisation des choix d’investissements en vue de la réduction de la consommation d’énergie dans l’entrepôt selon différents critères, notamment selon le climat et type d’entreposage.


De nombreuses bonnes pratiques concernent la logistique inverse des produits comme des emballages. L’une d’entre-elles est la création d’un écosystème. Cette démarche s’inscrit dans une logique de rationalisation industrielle durable. Le transport, acteur crucial de la distribution et de la logistique inverse, est aussi à optimiser tant en matière économique, qu’environnementale (émissions de carbone, pollution visuelle, particules fines, etc.) et sociétale (accidentologie, embouteillage, etc.). La logistique urbaine, avec l’explosion du e-commerce lors de la pandémie de la Covid-19 est à souligner dans ce contexte. Maillon le plus cher et le plus complexe, il est aussi source potentielle d’innovation entre la cyclo-logistique, l’utilisation des transports en commun, etc. Des études et des expérimentations sont aussi en cours pour réexploiter les fleuves ou les rails…


De très nombreux indicateurs durables existent. Il s’agit ici de choisir les plus adaptés. Un tableau de bord permettra non seulement d’identifier les leviers d’action mais également de suivre les impacts de la mise en place de ces bonnes pratiques.


Autant de bonnes pratiques que de secteurs, d’entreprises… attention à LA solution. Il n’existe pas la bonne solution réplicable quels que soient le secteur, la taille de l’entreprise, ses implantations. S’il y a bien une chose qu’on a appris en durabilité, c’est qu’il n’existe pas une solution mais des solutions…Tout électrique alors que ni la production de véhicules, ni la production d’énergie ne suit… La blockchain alors que tous les impacts de cette technologie ne sont pas clairement calculés…. La liste est longue de ces bonnes idées qui au final pourraient s’avérer ne pas en être…


En définitive, aborder les problèmes avec une approche systémique, s’inspirer des bonnes pratiques et appréhender chaque situation de manière spécifique pourraient constituer trois piliers solides du mode d’emploi pour une supply chain durable et responsable.

 

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(1) Raworth, K. (2017). Doughnut economics: seven ways to think like a 21st-century economist. Chelsea Green Publishing.
(2) Anicia Jaegler et Thierry Roques, Construire avec succès votre supply chain durable, collection kit pratique, ellipses, 2017.
(3) Anicia Jaegler et Thierry Roques, Guide pratique du management de la supply chain durable, ICTE éditions, à paraître 2023.

(4) Brezet, H., & Van Hemel, C. (1997). Ecodesign. A Promising Approach, United Nations Publication, Paris.
(5) https://www.afmd.fr/linclusion-dans-les-organisations-de-la-posture-la-pratique-synthese
(6) Ingrand F., A. Hssouna, L. Metzger, P. Itoua, M-L. Furgala et S. Ouvrard (2002), Décret Tertiaire, entrez dans la matrice ! Supply Chain Magazine, 52, 72-73

 

Présentation de l'auteure :

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Anicia Jaegler est professeur senior à Kedge Business School. Elle a obtenu un diplôme d'ingénieur et un doctorat de l'École des Mines de Saint-Étienne et une HDR du Cret-Log de l'Université Aix-Marseille, en France. Entre 2018 et 2021, elle a été directrice du département de management des opérations et des systèmes d'information et, depuis 2021, doyenne associée pour l'inclusivité et la durabilité. En 2020, elle a reçu le deuxième prix du Global Women Supply Chain Leaders dans la catégorie Supply Chain Academic Excellence. Ses recherches actuelles portent sur le management de la supply chain durable.

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