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Pour une transformation logistique des services publics

Une tribune de Aurélien Rouquet, professeur de logistique et supply chain management à la Neoma Business School.

Publié le 10 avril 2023 - 09h00
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Depuis plusieurs années, la question logistique s’est invitée au sommet de l’État. D’abord, la crise de la Covid-19 a rappelé l’importance de la préparation logistique en vue de répondre efficacement aux crises. Sans stocks de masques, pas d’autres choix pour endiguer une pandémie que de confiner tout un pays… Ensuite, face à l’essor du projet chinois des routes de la soie, au vu de la place de leader de l’Allemagne au sein du classement logistique de la Banque mondiale, la France a pris conscience que pour refaire son retard, il était important qu’elle se dote d’une véritable gouvernance de la filière logistique. Cela a débouché sur la création de l’association France Logistique, d’un comité interministériel dédié à la logistique (Cilog) et enfin, fin 2022, sur l’adoption d’une stratégie nationale logistique (dont on peut espérer qu’elle connaîtra un meilleur sort que la première stratégie élaborée sous la présidence de François Hollande… et qui n’a jamais été mise en œuvre). Au-delà de ces deux volets, une troisième question logistique reste cependant largement impensée au niveau de l’État : celle de la manière dont il doit coordonner ses services publics (Tableau 1).

 

Tableau 1 : Les trois types de questions logistiques à l’échelle d’un État


L’importance de la logistique et des supply chains des services publics

Pour l’État, s’intéresser de près à cette logistique et plus largement aux supply chains de ses services publics apparaît pourtant crucial pour au moins deux raisons. La première, c’est que la logistique contribue à la qualité des services publics. Si l’on n’est pas capable d’assurer la disponibilité en médicament au sein des hôpitaux publics, cela a des conséquences graves et vitales ! Et la seconde raison en est le coût. Comme on le sait, cela coûte de transporter, de stocker, et si l’on ne veut pas gaspiller l’argent public, il est essentiel d’optimiser globalement les coûts logistiques des services publics. À ces deux raisons, ajoutons que l’intérêt de la logistique, c’est qu’elle se présente comme une grille de lecture valable pour améliorer toutes les organisations et qu’elle paraît notamment utile aujourd’hui pour repenser les services publics. En effet, la supply chain en tant que démarche prône la coordination entre les services, indépendamment des périmètres traditionnels, à travers la création d’interfaces. Or, c’est justement d’un manque de coordination dont les services publics souffrent. L’enjeu est ainsi d’aller au-delà de la question de la décentralisation, qui est un sujet de tension entre l’État et les collectivités locales. Car quel que soit le niveau de décentralisation retenu, ce qu’il convient de penser, c’est bien la bonne coordination opérationnelle entre les différents services de l’État… ce qui est justement tout l’objet de la logistique et de la supply chain !

 

Une réflexion logistique et supply chain qui reste à construire

Cependant, la réflexion au sein de l’État sur sa propre organisation logistique est encore très largement à construire. Alors que depuis le programme de rationalisation des choix budgétaires en 1968, l’activité de réforme managériale de l’État n’a cessé de se renforcer, la logistique et la supply chain n’ont ainsi jamais fait officiellement partie du répertoire réformateur. La transformation publique mobilise les savoirs stratégiques (projets de services, plans de transformation ministériels) ; réfléchit aux structures de l’État et à l’organisation administrative (agencification, mutualisation, fusion, laboratoires d’innovation) ; au contrôle, à l’audit et à l’évaluation (Lolf, MAP) ; à la gestion des ressources humaines (PFR puis Rifseep, attractivité employeur, loi de transformation de la fonction publique de 2019) ; au marketing et à la relation à l’usager (loi Essoc de 2018, Services publics +) ; à la numérisation (France connect, start-ups d’État, etc.), etc. Mais l’efficacité logistique ne fait pas directement partie de la réflexion réformatrice, apparaissant résiduellement ou indirectement dans le cadre de réformes de structure visant à maîtriser les coûts et à réduire les redondances.

 

Une fonction logistique et supply chain peu répandue


À l’exception de certains services de l’État comme bien sûr l’armée, où le métier de logisticien est fortement développé, ainsi que dans une moindre mesure la gendarmerie et la santé, il existe peu de véritables fonctions logistiques d’encadrement de haut niveau similaires à celles qu’on trouve aujourd’hui dans la plupart des entreprises. La logistique et la supply chain sont ainsi présentes dans les organisations publiques sans qu’un corps ou une filière professionnelle ne soit constituée. Elle n’est officiellement reconnue que comme un domaine fonctionnel très opérationnel dans le répertoire interministériel des métiers de l’État. Au cours des dernières années, un début de réflexion est apparu autour de ces sujets. Cela s’est matérialisé à travers l’application du lean management. Certains services publics ont aussi pris conscience qu’ils pouvaient s’emparer de la logistique pour transformer leur organisation. Par exemple, la gendarmerie conduit depuis quelques années une réflexion sur ses moyens logistiques, sur les entrepôts dont elle dispose pour stocker le matériel nécessaire aux interventions et a développé des démarches de mutualisation avec l’intérieur en vue de mieux répondre aux crises.

 

Quelles pistes pour renforcer la logistique et les supply chains publiques ?

 

En vue de renforcer l’État, plusieurs pistes peuvent cependant être évoquées. D’abord, une mission interministérielle pourrait être mise sur pied en vue de faire un état des lieux plus précis de la logistique et de la supply chain au sein des services publics. L’objectif serait de faire un bilan des compétences disponibles ; de décrire les formes d’organisation des supply chains qui permettent aux services publics de fonctionner ; de faire un état des lieux des systèmes d’informations logistiques utilisés ; d’évaluer la performance actuelle sur le plan logistique des services publics, tant en termes de coût que de niveau de service. Ensuite, une professionnalisation des compétences logistiques publiques devrait être recherchée, ce qui pourrait passer par de multiples leviers : la création de fonctions d’encadrement qui pourraient s’appeler « responsable logistique et supply chain » ; des formations à la logistique qui pourraient être dispensées auprès de la haute fonction publique, et incluses dans le programme de formation de l’Institut des Services Publics, qui a remplacé l’ENA. Sur le plan plus institutionnel, pour soutenir cet effort de professionnalisation logistique, on pourrait par ailleurs créer au sein du ministère de la transformation et de la fonction publiques une direction interministérielle dédiée à la logistique, sur le modèle de celle qui existe pour le digital. Enfin, en vue de mieux rationaliser les infrastructures logistiques publiques utilisées, une idée pourrait être de créer une agence de la logistique, sur le modèle de celle qui a été créée pour gérer l’immobilier de l’État. L’objectif serait de confier à cette agence la gestion de tous les moyens immobiliers logistiques détenus ou pilotés par l’État, et de chercher à mieux rationaliser ces moyens en regroupant lorsque cela est possible les stocks dans des entrepôts communs, en se dotant de systèmes d’informations partagés pour assurer une meilleure gestion des stocks, en étant l’acteur de référence en vue de faire appel si besoin à des prestataires logistiques extérieurs pour stocker des marchandises, etc.

 

Présentation de l'auteur :

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Aurélien Rouquet est professeur de logistique à Neoma Business School, et chercheur au Centre de recherche sur le transport et la logistique (Cret-Log) d’Aix-Marseille Université. Il est titulaire d’un diplôme d’ingénieur de l’Ecole Centrale de Lille, d’un MSc en SCM de Cranfield University et d’un doctorat en sciences de gestion d’Aix-Marseille Université. Ses recherches portent sur la logistique de la consommation, l’orchestration des supply chains, et l’histoire de la pensée logistique, thèmes sur lesquels il a publié plusieurs dizaines d’articles dans des revues internationales. Il a récemment co-coordonné l’ouvrage La logistisation du monde : chroniques sur une révolution en cours, paru aux Presses Universitaires de Provence et co-écrit le manuel Logistique, paru aux éditions Vuibert. Il est rédacteur en chef de la Revue Française de Gestion et secrétaire général de l’AIRL-SCM.

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