Innovation
L'IA a sa place dans la logistique et le transport, mais pas d'IA sans data correctes
Une tribune rédigée par Sébastien Marie, associé du cabinet BearingPoint pour la supply chain.

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Optimisation des livraisons, entrepôts connectés, progiciels (TMS/WMS) : l’IA s’accélère dans le transport et la logistique et les entreprises y mettent le prix. 10 ans de R&D et 50 ingénieurs ont été nécessaires pour développer ORION, le système d’optimisation de livraison d’UPS. Plus récemment, CMA CGM a investi 100 millions d’euros sur 5 ans avec le champion français Mistral AI.
À quels usages précis de la logistique et du transport l'IA s’applique-t-elle ? Pourquoi la question de l’IA est d’autant plus complexe pour les acteurs de la supply chain ? Quels leviers mettre en place pour en tirer parti ?
Applications concrètes de l’IA dans la logistique et le transport
À tous les niveaux de la supply chain, l’IA permet d’anticiper des événements via des modèles prédictifs ou simuler des scénarios (critères carbone, énergie, coût) contribuant à la programmation dynamique des moyens de transport.
Côté entrepôt, face à la faible qualité des données, certains 3PL génèrent leurs propres données via des systèmes de capture vidéo. Objectif : repérer les zones de latence et y apporter des actions correctives. L’IA aide à comprendre et anticiper les variabilités et à renforcer la résilience.
Côté transport, l’optimisation des plans de transport reste un cas d’usage fréquent : détection d’anomalies, analyse de patterns, mutualisation, etc. Des algorithmes sont utilisés pour améliorer le groupage, réduisant ainsi coûts et empreinte carbone. Mais encore une fois, l’accès à une donnée de qualité fait partie des écueils rencontrés…
Freins à une utilisation efficiente de l’IA au sein du secteur
Pas d’IA sans données de qualité. Or, l'accès limité et la diversité des sources compliquent l’utilisation efficiente de cette donnée. En outre, dans un contexte où défense et souveraineté sont cruciales, cybersécurité et sécurisation poussent certains acteurs à tout simplement refuser le partage d'informations, freinant ainsi la normalisation des échanges. Il faut donc structurer, sécuriser et garantir la qualité de la donnée avant de penser à l’IA.
Pour la logistique en particulier, dominée par de nombreux petits et moyens acteurs, se pose parfois la question de l'existence même de la donnée. La digitalisation est freinée par le manque de collecte et stockage de la donnée chez les PME, mal équipées faute de temps et moyens, mais aussi par la diversité des langages employés.
À cette multiplicité de tailles (des petites structures aux mastodontes internationaux) s'ajoute la diversité des acteurs logistiques (chargeurs, transporteurs, prestataires, 3PL/4PL, etc) créant un environnement à plusieurs vitesses où les acteurs ne parlent pas le même langage. L'interopérabilité constitue donc un enjeu majeur.
Enfin, l'IA implique de nouvelles méthodes où la collaboration métier-data science devient centrale et où se pose le défi de l'acquisition des bonnes compétences. De quel niveau en data science a-t-on besoin ? Comment mesurer bonnes pratiques, limites et dangers des modèles d'IA ?
Fondations pour une feuille de route de la digitalisation du secteur
Face à ces défis, difficile de prioriser une feuille de route claire. La diversité des données générées ouvre deux voies :
• Déployer un langage commun pivot pour que l'IA comprenne ces données variées, impliquant donc un travail de standardisation conséquent à la maille entreprise, filière, en France et même en Europe !
• Miser sur l'IA comme traducteur-interprète des messages échangés entre parties prenantes
L'absence d’un « leader » capable de montrer la voie complique la tâche. Contrairement à l'automobile, l'aéronautique ou la distribution, aucun leader évident n'émerge en logistique. La gouvernance des données devient ainsi prioritaire pour définir la propriété des données, financer les infrastructures et identifier les bénéfices communs. Actuellement, tous ne disposent pas des bonnes fondations SI (TMS, WMS) ni des moyens pour un élan collectif. Qui ouvrira la voie dans un cercle vertueux pour le secteur ?
À retenir pour avancer
Bonne nouvelle ! Les cas d'usage d'IA sont nombreux et prometteurs : optimisation transport, amélioration des gestes entrepôts ou de l’allocation ressources, supervision préventive... Ce recensement doit rester dynamique comme le propose le Hub IA France.
Pour concrétiser cette ambition, l'engagement des acteurs est essentiel. Chargeurs, transporteurs, plateformes, autorités, logisticiens... tous jouent un rôle dans la construction des fondamentaux IA propres à la logistique et au transport.
Face à l'ampleur du chantier et la complexité de l'écosystème, un travail de fond sur la gouvernance des données (interne et inter-entreprises) est obligatoire. Plus que jamais, la force du collectif chargeurs-transporteurs sera essentielle pour bâtir les fondations. Reste aux premiers acteurs à montrer la voie...
Remerciements : Merci à l’AUTF, AI Cargo Foundation, Heppner, Geodis, la DGITM, DCBRAIN, Michelin, le ministère des Armées, GENERIX, DOCLOOP, DAHER, In Groupe, Hub IA France pour leurs contributions et partages.
