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Gestion des approvisionnements : "Aujourd'hui, nous sommes au milieu du gué"

Diego de Lestapis, associé au sein de la société de conseil en optimisation des achats Euklead, observe le changement de stratégies développées par les entreprises sur leurs supply chains depuis la crise sanitaire. Un difficile exercice de réévaluation des risques couplé à une prise en compte des impératifs RSE pour parvenir à une gestion vertueuse et optimisée de leurs approvisionnements.

Publié le 3 février 2023 - 09h15
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Euklead

Depuis la sortie du Covid, observe-t-on un changement de cap des entreprises sur la gestion de leurs approvisionnements ?

Le Covid a entraîné une rupture de la chaîne d’approvisionnement sur la supply chain. Tout était en position d’équilibre, cette rupture a créé un choc mondial et provoqué une disruption entraînant une remise en cause des flux d’approvisionnement tels qu’ils avaient été définis. Jusqu’alors les trois parties prenantes de la supply chain – le consommateur, le fabricant et son fournisseur – évoluaient dans un écosystème de mondialisation poussée à son extrême fonctionnant en flux tendus. Aujourd’hui, la photo a changé : le covid a été un coup de frein sur les processus en place. Prenons l’exemple du paracétamol pour caricaturer : auparavant, pour sécuriser leurs approvisionnements, les entreprises s’appuyaient sur deux ou trois fournisseurs dans le monde, chacun d’entre eux couvrant une zone géographique. Avec le temps, elles sont passées à deux sources, voire une en Asie pour tirer les prix vers le bas. Or, le covid a créé un ralentissement ou un arrêt temporaire sur certaines zones de production et du coup, des difficultés d’approvisionnement. D’autre part, les bateaux ou avions refusaient de partir car vides ou à moitié pleins.


Quelles leçons les entreprises en ont-elles tirées ?

Cet épisode a été révélateur des fragilités et des failles existantes dans la supply chain de beaucoup d’entreprises. Jusqu’à maintenant l’entreprise fabricante s’intéressait beaucoup à sa supply chain amont, moins à ce qui se passait en aval. Il existait une offre pléthorique de solutions pour transporter et il n’y avait pas de situation compliquée. De nouveaux risques sont apparus, à l’image du temps d’approvisionnement qui devenait très long. On s’est aperçu que les distances finissaient par peser énormément surtout si un bateau ne partait pas (blank sailing) ou été reporté sur un autre port. Il en a résulté une gestion des approvisionnements extrêmement consommatrice de temps alors que l’activité n’était pas plus importante. Cela a entraîné des problématiques de disponibilité et de tension pour les équipes à tous les échelons de la chaîne. Et face aux pratiques de mono-sourcing, si le principal fournisseur bien que fiable se retrouvait en incapacité de livrer ou de produire parce qu’il n’avait plus de personnel dans son pays à cause du covid ou d’une sur-demande, la tendance naturelle était alors de vendre à ceux qui le payaient plus cher. En résumé, on s’est donc retrouvé avec une pénurie de ressources : matières premières, composants et produits finis, couplée à un manque de personnel. La réaction des clients a été de surdimensionner les commandes pour reconstituer les stocks, entrainant des problématiques de capacité avec des points de rupture au niveau des ports et des aéroports après les confinements. Les conséquences de ce surdimensionnement ? Des délais incontrôlés et une qualité de service (accès à l’information) devenu catastrophique. Les entreprises ont donc été amenées à réévaluer leurs risques.


La majorité d’entre elles se sont-elles engagées dans cette démarche de réévaluation des risques sur leur chaîne d’approvisionnement ?
Conscientes que le mono-sourcing devenait trop risqué, les entreprises ont considéré alors que l’approche multi-sourcing devenait une nécessité pour gérer ces situations de dépendance stratégique. On retourne à cette pratique car une pandémie peut arriver à tout moment et qu’on ne veut pas être dépendant d’une usine quelque part dans le monde qui peut être soumise à des aléas hors de contrôle.
Aujourd’hui, il s’agit donc de renforcer la gestion des risques liés à sa base fournisseurs en revoyant les engagements de service et en s’attachant à la gestion des stocks auprès de fournisseurs dans des zones «stables» (nearshoring, friendshoring). Cela se traduit par des vagues d’audit auprès des fournisseurs stratégiques de rang 1, 2 et 3 pour s’assurer que ces derniers font la même chose de leur côté. Tout cela prend du temps. En parallèle, on observe un renforcement des outils de gestion des stocks pour pouvoir mieux anticiper et sécuriser la suite du processus – production, distribution - vers les clients finaux. Cette logique de gestion des risques se renforce avec les engagements des grands donneurs d’ordres pour améliorer leur pratique d'achats responsables et vers une décarbonation sous la pression des consommateurs et des directives mondiales et européennes pour préserver notre écosystème.


Comment assurer à la fois cette gestion des risques et de préservation de notre écosystème ?
Face aux exigences des donneurs d’ordres et pour répondre aux réductions de GES, les sociétés de transport renforcent en effet l’optimisation de leur déplacement via une digitalisation forcenée de leurs moyens à la recherche de gain de productivité et d’amélioration du taux d’occupation des véhicules. En ayant moins de chauffeurs, moins de moyens, l’obligation d’optimiser les chargements devient une évidence. S’ajoute à cela la dimension RSE avec la nécessité de polluer moins. Cela entraîne pour eux la quête d’un équilibre compliqué pour trouver les solutions les plus pertinentes compte tenu d'un contexte normatif de plus en plus exigeant et de la problématique de moyens (avec le manque de main-d'œuvre). La solution pour y parvenir passe notamment par la digitalisation.


Cette digitalisation concerne également les donneurs d’ordres ?
Oui, en parallèle, depuis cinq à dix ans, beaucoup de groupes, notamment dans la grande distribution, se sont questionnés sur la manière d’optimiser leurs stocks qui se trouvent dorénavant davantage dans les camions que dans les entrepôts puisque la supply chain évolue en flux tirés. Pour s’assurer d’un approvisionnement et d’une livraison le plus possible en flux tendus, des plateformes digitales se sont créées. L’objectif ? Assurer un juste à temps des ressources au bon moment. Il s'agit aujourd'hui de toujours anticiper les marchandises qui vont arriver pour pouvoir préparer plus tôt les flux d’approvisionnements vers les magasins en fonction des livraisons sur les plateformes. Géolocaliser ces marchandises pour les répartir à l’avance sur tel ou tel quai permet de consolider le plus vite possible les commandes des magasins, pour pouvoir optimiser les rayons dans les points de vente. En plus des problématiques internes de disponibilité des fonctions support, les ressources informatiques sont très sollicitées pour adapter les plans d’approvisionnement qui deviennent de plus en plus complexes. Cela suppose des changements, des évolutions sur les pratiques mais aussi sur les process. Cela prend du temps et aujourd’hui, nous sommes au milieu du gué.


Le tout étant de gagner en visibilité sur sa chaîne d’approvisionnement et de mesurer son impact…
Donner de la visibilité suppose en effet de mieux maitriser ses informations sur les prévisions et le planning des ventes et d’avoir un meilleur monitoring de l’outil de production pour ensuite remonter la chaîne de valeur en allant interviewer ou auditer les fournisseurs nouveaux et anciens  : "dans ce nouveau contexte, êtes-vous capables de garantir tel ou tel niveau de service en termes de capacité, disponibilité, respect des délais de livraison et des standards qualité ?"  La supply chain est aussi une « value chain », amenée à être revue en gérant plus d’informations et en rentrant davantage dans le détail aussi bien en interne qu’en externe, au niveau des points de vente ou des fournisseurs. Il s’agit de pouvoir donner l’information au client en lui disant le camion est à deux heures de route. Cela signifie qu’il faut le géolocaliser. Ce degré d’exigence impacte alors le chauffeur avec une pression additionnelle sur sa performance en temps réel... Il y a donc toujours un équilibre à trouver entre les aspirations individuelles, la productivité de l’entreprise et l’engagement de service.

 

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