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Le vivant comme modèle de la logistique urbaine

S'apparentant à une « designeuse de vie urbaine bio-inspirée », Karine Weber propose, à travers son cabinet Feuille de route Conseils, une approche durable de la logistique urbaine empruntant à la nature ses process optimisés.

Publié le 1 mars 2023 - 09h30
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Image de wirestock sur Freepik

« L’architecte du futur construira en imitant la nature, parce que c’est la plus rationnelle, durable et économique des méthodes ». Cette phrase du bâtisseur catalan Antoni Gaudi à l’origine d’œuvres organiques, dont la plus célèbre demeure la Sagrada Familia à Barcelone, figure en prélude du mémoire de Karine Weber. Et vient expliquer toute sa problématique : « Vers une logistique urbaine au design bio-inspiré ? ». Ce mémoire, elle l'a réalisé dans le cadre de sa formation de Master Nature Inspired Design de l’ENSCI-Les Ateliers au cours de sa transition professionnelle. En effet, après avoir travaillé durant 22 ans chez Ikea, Karine Weber a entrepris un virage professionnel ayant abouti au lancement de son bureau d’études Feuille de route Conseils en mars 2022, dédié à la logistique urbaine et à « l’innovation durable par le design ». Un nouveau défi pour lequel elle s’est inspirée de sa longue expérience au sein de l’entreprise suédoise de meuble et de décoration, où elle a eu l’occasion de mener diverses opérations logistiques en parallèle de l’évolution de l’e-commerce, et où elle a pu enrichir ses recherches dans le cadre de son mémoire.


La ville comme un écosystème vivant

 

« Chez Ikea, je me suis notamment intéressée à l’opérationnel et me suis entourée d’un groupe d’experts pour imaginer un support de manutention en carton permettant de préparer la commande, de la transporter et de la protéger jusqu’à l’arrivée chez le client pour que les articles soient livrés dans la bonne quantité et en bon état. Il y avait, avant cela, beaucoup de pertes de petits produits qui étaient à l’origine de SAV et d’insatisfactions clients ainsi que de coûts exorbitants pour Ikea. Le process développé utilisait les méthodes du design, mais je n’en avais pas encore conscience. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré les deux thématiques de la logistique urbaine et du design et que j’ai décidé de retourner sur les bancs de l’école en intégrant le master '"Nature inspire design" », détaille-t-elle. S’ensuit une formation de 18 mois incluant un stage au sein du bureau d’études spécialisé en logistique urbaine, Logicités, dirigé par Jérôme Libeskind : « C’est de cette manière que mon sujet de mémoire s’est naturellement décidé autour de la question : comment le vivant qui, tous les jours déplace de la matière et échange des informations, parvient à rester économe en énergie ? J’ai donc envisagé la ville comme un écosystème vivant à l’instar de la forêt ou d’un récif coralien avec des échanges et des flux de matières. Mon objectif étant d’imaginer bien entendu une logistique urbaine plus innovante mais surtout plus respectueuse de l’environnement et des limites planétaires ».

 

Se rapprocher des systèmes naturels pour optimiser


Durant l’écriture de son mémoire, Karine Weber réalise de nombreux entretiens avec des professionnels du secteur : chargeurs, transporteurs, consultants... Elle observe alors les injonctions contradictoires vécues par cette logistique urbaine qui génère des externalités négatives (congestion, nuisance sonore…) impactant la ville, l’activité économique mais aussi les habitants alors que ces derniers tendent de plus en plus à désirer un environnement apaisé : « D’un côté, on demande à la logistique urbaine des livraisons toujours plus fiables avec une excellente traçabilité, tout en étant respectueuse de l’environnement avec des modes de transport plus vertueux, et de l’autre, on souhaite que ces acheminements de colis soient de plus en plus rapides. Or, cette pratique-là a pour conséquence forcément une atomisation des commandes et une démultiplication des moyens de transport… ». Pour répondre à ce paradoxe, Karine Weber invite à requestionner son impact sur le vivant en le faisant partie prenante de décisions qui doivent, si elles visent l’optimisation, se rapprocher des systèmes naturels. « Le vivant cherche à économiser des ressources alors que nous cherchons toujours à transporter plus à l’encontre des limites planétaires et du bien commun. Nous devons passer d’un rapport d’exploitation et de domination à un rapport d’écoute, de protection et de partage en reconnaissant que le vivant fait de la R&D depuis des milliards d’années et que cela peut être une source d’inspiration et un modèle à respecter ».


La nécessaire reconnexion au vivant

 

À travers ses recherches, la designeuse de vie urbaine bio-inspirée a notamment pu observer que le vivant utilise des solutions lentes à petite échelle, réalisées dans certaines circonstances. Un constat qui l’amène à développer le concept de « la livraison sous conditions » : « Les abeilles quittent leur ruche lorsque la température est supérieure à 11 degrés et quand la météo est clémente. Sinon, elles ne bougent pas, car elles savent qu’il n’y aura pas assez de nectar à butiner. Les pommes de pin de leur côté libèrent leurs graines pour se reproduire uniquement si le taux d’humidité dans l’air est inférieur à 20 % ». Karine Weber a appliqué ces modèles biologiques à la livraison e-commerce, partant du principe que le premier objectif visé était aujourd’hui celui de la promesse client : « Si nous changions de critère et prenions le taux de remplissage du véhicule plutôt que le délai de livraison, le client attendrait peut-être un peu plus longtemps mais les ressources et l’énergie utilisées seraient optimisées… Certaines enseignes commencent à mettre cette démarche en avant mais sans vraiment prendre conscience qu’elle est inspirée du vivant ». Autre illustration, celle de l’accès à l’information : la logistique urbaine doit, comme le vivant, être pilotée par la donnée, explique Karine Weber : « Lorsque l’on compare la nature et le monde humain, on se rend compte que nous échangeons finalement peu de données et que les espèces entre elles communiquent beaucoup plus. Le vivant s’organise grâce à l’information. À ce sujet, de nombreux efforts peuvent encore être réalisés, notamment sur la transparence des directives concernant les emplacements des aires de livraison et des accès aux voies piétonnes pour les différents opérateurs. On peut reprocher à un livreur de ne pas respecter la réglementation mais en théorie elle est souvent peu accessible avec des informations parfois obsolètes ». Un des leviers d’optimisation consiste à davantage intégrer les pouvoirs publics au même titre que les autres acteurs, chargeurs, transporteurs et consommateurs, dans le process : « Des programmes comme Lud+ pour le déploiement d’une logistique urbaine durable amènent cette dynamique de concertation en proposant un vrai travail pour faciliter l’accès et la qualité de l’information ».

 

Extraits du mémoire de Karine Weber


Au sein du bureau d’études Feuille de route Conseils, Karine Weber accompagne plusieurs collectivités locales et acteurs privés du retail et de l’immobilier sur des études de diagnostic, de concertation et de mise en œuvre de solutions de logistique urbaine, en étroite collaboration avec Logicités, ELV Mobilités et Samarcande by Inddigo. Son travail l’amène également à animer des ateliers d’intelligence collective et de sensibilisation (fresque du climat, ateliers de sensibilisation...) au sein de diverses structures publiques et privées et à proposer un accompagnement vers une transformation efficiente et durable avec les méthodes de design dans le cadre du Collectif KORO et du Collectif Commune Nature, tous guidés par la même conviction : la nécessaire reconnexion au vivant pour une logistique urbaine durable.

 

Le lien vers le mémoire de Karine Weber :  «Vers une logistique urbaine au design bio-inspiré ?»

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