Interview
Rencontre avec Yann de Feraudy, président de l’Aslog, sur la supply chain de "l'après Covid-19"
Depuis le début de la pandémie, l'Aslog tient plus que jamais son rôle de premier réseau français des professionnels de la supply chain. C'est dans cet esprit que l'association lance aujourd'hui son premier webinar : "La Supply Chain face au Covid-19 - Visions croisées des grands acteurs de l’économie française". Retour sur la situation hors normes que vit le secteur avec Yann de Feraudy, son président.
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Au sein de l’Aslog comment appréhendez-vous la situation ?
C’est un double choc, à la fois sur l’amont et sur l’aval. Vue d’Europe, la crise a progressé d’Est en Ouest, un certain nombre de supply chains ayant ressenti les premières perturbations dès le début de l’année 2020, notamment en termes de sourcing. Passé le traditionnel pic du Nouvel An chinois, nous avons bien constaté que rien ne repartait à la normale. Parallèlement à cela, nous subissons un choc de la demande, arrivé quasi simultanément en Asie et qui s’est propagé à mesure que la moitié de l’humanité se retrouvait confinée. Tous les « pure retailers » se sont retrouvés avec un chiffre d’affaires à zéro. Nous vivons donc un phénomène historique qui marquera immanquablement les esprits, notamment sur la nécessité d’être plus résilient et robuste. Malgré les mesures extrêmement fortes et vigoureuses prises par le Gouvernement et l’Union européenne en matière de soutien à l’activité économique, il y a fort à parier que cela va se traduire par une crise économique et sociale sans précédent. Néanmoins, nous assistons également à de nombreux phénomènes assez étonnants, porteurs de perspectives et de rebonds éventuels.
Quels sont ces phénomènes ?
Nous voulons porter un message positif et souligner la façon incroyable dont nos outils industriels ont été reconfigurés en moins de temps qu’il n'en faut pour le dire afin de produire des masques, du gel... Il est donc possible de faire des choses nouvelles, de se raccrocher à une dynamique de sens pour le bien commun. Nos infrastructures, nos outils industriels et supply chains sont en état. Les magasins, les villes n’ont pas été détruits par un conflit armé comme nous avons pu le constater en 1945. La reprise ne se fera pas en un claquement de doigts mais elle aura lieu progressivement. À l’Est, l’activité économique repart assez doucement, la fréquentation des magasins est faible en raison des mesures de distanciation mais techniquement, le taux de transformation est beaucoup plus élevé. L’e-commerce connait un véritable regain en Asie mais aussi en Europe, comme si la crise allait modifier de façon assez durable et structurelle la manière d’acquérir des biens de consommation. Beaucoup ont pris le pli de se faire livrer à domicile. Affiner la promesse horaire de livraison sera parmi les sujets majeurs à travailler par les opérateurs logistiques. Parallèlement, dans la relation client, nous voyons de véritables opportunités de faire du commerce différemment, en s’appuyant sur de la technologie, de la VAD, les réseaux sociaux et les magasins existants en ville.
Quel rôle tient l’Aslog auprès des acteurs de la supply chain durant cette période ?
Notre mission quotidienne est d’accompagner la communauté supply chain dans ses réflexions stratégiques en vue de faire progresser tous les métiers, et encore davantage durant cette période. Pour ce faire, nous avons conçu un baromètre de l’activité. Nous produisons ainsi, tous les 10 jours, une image à partir d’un échantillon -loin d’être exhaustif- mais qui permet de donner le pouls. À titre d’exemple, sur la quatrième semaine d’enquête, 90 groupes d’entreprises ont participé, soit plus de 700 sites industriels et 900 sites logistiques. En ce moment, nous constatons que la partie agroalimentaire et le secteur santé/beauté fonctionnent au deux tiers, l’automobile à environ 12 %. Nous tentons également de recenser les 100 questions que se posent les acteurs du secteur pour gérer la crise ou mieux redémarrer, qu’il s’agissent de règles de sécurité, de management… Nous nous inspirons des bonnes pratiques mises en place et les partageons. L’important est de pouvoir donner de la visibilité, ensemble.
De quelles façons l’Aslog et ses membres préparent « l’après » ?
Il est temps de de se réinventer. Notre métier va changer. Voilà pourquoi, nous organisons un webinar le 5 mai. Il sera le premier d’une longue série dont la vocation sera de partager des réflexions de praticiens, d’échanger sur les postures à prendre à l’avenir mais aussi sur les principes qui ont construit les supply chains depuis plus d’une trentaine d’années. Nous pilotons des chaînes longues, très étendues et complexes, avec des flux tendus et des objectifs zéro stock : ne devrait-on pas réinterroger ces fondements pour demain, au profit d’une simplification et de plus de résilience ? Nous souhaitons être le catalyseur d’une réflexion profonde sur les supply chains à venir.