Décarboner l’industrie : faire de la collaboration supply chain un levier stratégique

La décarbonation ne se gagne pas seul. Dans un environnement industriel interconnecté, chaque entreprise dépend de ses fournisseurs, ses transporteurs, ses partenaires, ses clients et de l’ensemble des parties prenantes, voire parfois de ses concurrents. Les marges de progrès se situent souvent à l’interface entre acteurs. C’est là que la collaboration devient un levier déterminant pour réduire les émissions globales de la chaîne de valeur et faire progresser l’ensemble des acteurs.

Dépasser le cadre de l’entreprise : pourquoi la décarbonation est un défi collectif

En moyenne, plus de 70 % des émissions d’une entreprise industrielle proviennent de son scope 3 (source : CDP, 2023), ces émissions indirectes significatives sont intégrées de manière obligatoire dans la déclaration d'un Bilan GES pour toutes les entreprises soumises à la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF). Ce sont les émissions indirectes qui échappent souvent au contrôle direct de l’entreprise et proviennent notamment des pratiques logistiques des partenaires et fournisseurs.

Par conséquent, une entreprise qui souhaite travailler sur sa trajectoire de décarbonation et obtenir des résultats significatifs et durables, doit embarquer son écosystème. Il s’agit de mesurer et d’évaluer ensemble son impact carbone, de fixer des objectifs communs et reconnaître la part de responsabilité de chacun dans leur atteinte. Grâce à cette vue globale, les acteurs peuvent identifier et prioriser les leviers de décarbonation en travaillant à la mise en place d’actions collectives.

Trois leviers concrets de collaboration pour accélérer la décarbonation

Partager les données pour créer une intelligence carbone collective
La mise en place d’une trajectoire de décarbonation commune demande un certain niveau de transparence entre les acteurs et une traçabilité commune. La priorité est de mutualiser les outils de mesure et d’harmoniser les méthodes de calcul, puis de développer un référentiel commun : objectifs et plan d’actions collectif, indicateurs homogènes, standards reconnus tels que l’ISO 14064... Ensuite il s’agit de partager les données entre partenaires via un espace commun pour suivre les émissions par activité, transport ou matière première, les progrès réalisés, les zones de risque ou de priorité.

Mutualiser les flux et les ressources : quand la collaboration devient un levier bas carbone
La collaboration horizontale (partage de ressources et collaboration entre entreprises indépendantes) est l’une des solutions les plus innovantes pour relever efficacement les défis logistiques croissants d’un point de vue environnemental et économique, mais elle est aussi complexe. Une étude menée par ECR France en 2013 a révélé que sur 73 entreprises, 44 % estiment avoir du mal à trouver un partenaire pour lancer un projet de mutualisation. En effet, de nombreux critères doivent être réunis pour qu’une collaboration soit fructueuse : compatibilité des profils d’entreprises et des produits, clients communs, partage d’information, répartition équitable des gains…

Face à ces contraintes, une mutualisation par l’intermédiaire d’un acteur tiers semble plus atteignable. La mutualisation des achats et des approvisionnements via un groupement d’achats par exemple, permet aux entreprises d’avoir plus de poids dans la recherche de solutions bas-carbone (énergies, matériaux recyclés, véhicules électriques…) et dans la négociation de cahiers des charges avec les fournisseurs visant à réduire l’impact carbone. Un autre moyen est de travailler avec un prestataire transport et logistique qui déploie une stratégie de mutualisation entre ses clients : massification des stocks, mutualisation et optimisation du transport, optimisation des emballages, boucle logistique circulaire.

Co-développer des solutions bas carbone : transformer la contrainte en moteur d’innovation

La collaboration avec son écosystème sur une trajectoire de décarbonation peut également mener à des projets de co-innovation. Au lieu d’être une contrainte, la décarbonation devient une opportunité, un levier d’innovation et de compétitivité pour les entreprises.
Des dispositifs tels que les appels à projets ou les programmes européens encouragent la collaboration entre les entreprises, la recherche, les institutions, les associations et fédérations pour tester de nouvelles technologies et des nouveaux modèles d’organisation.
Des acteurs tiers de confiance peuvent jouer un rôle clé dans l’émergence de ces projets, tels que les pôles, les clusters et les associations. Ils ont pour rôle de fédérer les acteurs, diffuser les bonnes pratiques et accompagner les projets collectifs.

Cette dynamique fait partie de l’ADN du Pasca (Pôle Achats Supply Chain Atlantique). Notre rôle est d’accompagner les porteurs de projet du besoin jusqu’au déploiement opérationnel. Nous aidons dans la structuration, la mobilisation des bons acteurs, le financement et la valorisation du projet. Notre expertise de conduite de projets et la maîtrise des flux ont permis à l’association de porter de nombreux projets d’innovation contribuant à la décarbonation de l’industrie et de la logistique : report modal, optimisation d’entreposage et de tournées, circuits courts, livraison dernier kilomètre…

Intégrer les PME dans les dynamiques de décarbonation : du rôle subi au rôle moteur

Les PME jouent un rôle crucial dans la décarbonation des supply chains, car ce sont elles qui les composent en majeure partie. Mais leurs capacités de transition restent souvent assez limitées. Elles peuvent manquer de ressources et de compétences dédiées, ainsi que de moyens d’investissement (bâtiments, process, mobilité, digitalisation). Au lieu d’être actrices de leur transition, elles subissent les exigences unilatérales et les changements associés sans pourvoir valoriser leurs efforts.
Et pourtant, les PME, par leur agilité, peuvent devenir des laboratoires de solutions bas carbone : nouveaux matériaux, modèles circulaires, optimisation des flux. Mais il est nécessaire que les donneurs d’ordre acceptent de tester et de co-développer ces solutions.
Sur ces projets collaboratifs, les pôles et clusters ont leur rôle à jouer dans l’orchestration des projets en identifiant les entreprises prêtes à s’engager et en structurant la démarche. Ils peuvent faire découvrir et tester aux PME des solutions concrètes et leur apporter le soutien nécessaire pour leur propre décarbonation : partage d’expériences et bonnes pratiques, dispositifs mutualisés, formations et accompagnements, référentiels adaptés, leviers de financement…

C’est dans ce sens, que le Pasca a imaginé sa conférence « Décarboner l’industrie : Mobiliser sa Supply Chain pour accélérer la transition » du 27 novembre à Saint-Nazaire. Un évènement qui permet aux entreprises de venir s’inspirer de modèles de coopération existants et de découvrir des actions concrètes transposables dans leurs propres entreprises.

Décarboner la supply chain, c’est avant tout créer de la valeur collective. Les entreprises qui s’engagent dans des démarches collaboratives gagnent en efficacité, en crédibilité et en attractivité. Sur les territoires, la coopération devient une arme stratégique : elle accélère la transition tout en consolidant la résilience industrielle.

Saint-Nazaire, laboratoire territorial de la décarbonation industrielle

Le territoire de Saint-Nazaire est marqué par une forte activité industrielle avec l’implantation de donneurs d’ordre de niveau mondial et un écosystème dense de PME industrielles. Le territoire et ses entreprises font face à des enjeux de développement, de compétitivité internationale, d’attractivité et de transformation écologique. Pour répondre à ces enjeux, des initiatives collectives existent sur le territoire. Elles illustrent la puissance du collectif pour faire bouger les lignes.

ZIBaC : unir les forces industrielles pour bâtir le 1er hub décarboné de la façade Atlantique
Les acteurs de la zone industrialo-portuaire de Saint-Nazaire, soutenus par l’Ademe, se sont associés dans la démarche Loire Estuaire Décarbonation, pour créer une Zone Industrielle Bas Carbone (ZIBaC). L’ambition est de développer le 1er hub décarboné de la façade atlantique avec des infrastructures et une production d’énergie au service d’usages décarbonés pour le Grand Ouest et au-delà. Le dispositif englobe de nombreux projets collectifs qui exigent le partage d’information et une feuille de route commune entre acteurs : réseau de chaleur industrialo-urbain, boucles électriques d’autoconsommation collective, synergies matières entre acteurs de la zone… L’Association Décarbonation Loire Estuaire (ADELE) a pour rôle de faire le lien entre les acteurs et de garantir la trajectoire de décarbonation commune.

E3IR : repenser l’entreposage pour une logistique plus sobre et plus efficace

Le rôle du Pasca est aussi d’étudier les besoins industriels et logistiques et de les mettre en perspective avec les tendances organisationnelles et technologiques pour développer des solutions adaptées. Pour ce faire, nous construisons des projets collectifs, tels que Le projet E3IR (Entreposage Efficace, Efficient, Industrie et Responsable) porté conjointement avec Idea et Batir France Ingénierie dans le cadre d’un appel à projet Ademe « Entrepôt 4.0 durable ». Le projet a pour objectif d’investiguer, d’étudier et de définir, sur la base de données réelles, les nouvelles approches logistiques d’entreposage s’appuyant notamment sur de nouvelles architectures d’entrepôts et de nouveaux modèles logistiques. Les travaux menés se concentrent sur le territoire de Saint-Nazaire Agglomération et s'attaquent aux défis de l'entreposage industriel dans un espace limité et fortement industrialisé. Face à une forte densité d’activités industrielles, les entrepôts logistiques doivent répondre à des enjeux de localisation, dimensionnement, et maîtrise des impacts économiques et environnementaux.

À partir de données industrielles réelles, l’étude projette différentes organisations d’entreposage en s’appuyant sur des tendances émergentes telles que la mutualisation, l’automatisation, la digitalisation ou la verticalisation, puis mesure l’impact économique et environnemental. Elle permet aussi de travailler sur un schéma logistique optimisé : massification, stratégie achats, emballage, transport, logistique, délégation de production.

Vers un schéma logistique industriel durable à l’échelle du territoire

En parallèle de cette étude, le Pasca a également travaillé avec Saint-Nazaire Agglomération pour analyser les besoins et perspectives en matière de foncier logistique et d’organisation des flux industriels sur le territoire de Saint-Nazaire. L’intérêt de cette étude est de définir les besoins et perspectives en termes de foncier et d'organisation des flux industriels sur le territoire nazairien, dans le but d’alimenter les politiques publiques et d’arbitrer les cessions et investissements au regard des besoins identifiés.
L’étude a permis de dresser un état des lieux détaillé des besoins logistiques et fonciers du territoire nazairien, tout en identifiant des leviers d’optimisation et des pistes de développement adaptées aux contraintes locales. Ces travaux menés à l’échelle d’un territoire pourront être transposés sur tout autre territoire industriel.