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Transport

« La pertinence et la résilience du fret ont été reconnues et on ne comprend pas qu’il y ait un tel manque de soutien »

Intégré au groupe Open Modal, l'opérateur de transport combiné, T3M, est spécialiste de la technique du rail-route appliquée aux flux continentaux et maritimes. Anthony Cherubini, directeur général de la société expose l'intérêt environnemental de cette activité générant massification et réduction de l'empreinte carbone, tout en soulignant les potentialités de développement du secteur mais également les difficultés actuelles subies par le fret ferroviaire face à la crise énergétique. Une situation appelant à un soutien conjoint de SNCF Réseau et des pouvoirs publics.

Publié le 18 avril 2023 - 17h14
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T3M

En tant qu’opérateur de transport combiné rail-route appliqué aux flux continentaux et maritimes, qui sont vos clients ?
Ce sont des transporteurs routiers qui utilisent la technique du combiné mais également des compagnies maritimes qui nous expriment leurs besoins de transport de conteneurs et caisses mobiles sur de la longue distance. Nous y répondons en créant une offre ferroviaire nous conduisant à coordonner l’ensemble des opérations, incluant livraison et remise au transporteur, depuis un terminal amont vers un terminal aval. Nous sommes principalement établis sur les corridors nord-sud, sur des distances comprises entre 800 à 1150 kilomètres avec beaucoup de trains qui circulent de nuit. La société a été créée en 2000, avec une présence d’abord concentrée sur l’axe italien (Milan), puis nous avons créé de 2005 à 2020 notre maillage national et, désormais depuis Lille et Paris nous rejoignons toutes les grandes agglomérations du sud de la France, de Bordeaux à Marseille en passant par Toulouse, Avignon et Fos-sur-Mer. Depuis deux ans, nous avons également mis en place des connexions avec un autre grand opérateur européen, Hupac, qui nous permet de rejoindre l’agglomération de Rome et le sud de l’Italie à Bari, nous ouvrant aussi les marchés grecs et turcs, déjà fonctionnels.

De quelle manière mettez-vous en avant le caractère durable de votre activité ?
L’intérêt du transport combiné réside dans la massification qu’il permet. En effet, pour acheminer 50 UTI (unités de transport international), le transport combiné rail route fait appel à deux conducteurs de ligne pour un train fonctionnant à l’électricité, à comparer à 50 conducteurs routiers pour 50 camions. Cela conduit, de ce fait, à un bilan carbone bien meilleur que la route, avec un taux d’émissions 9 fois inférieur au transport routier mais aussi, et c’est un sujet majeur, une consommation d’énergie nettement inférieure du rail par rapport à la route. Nous faisons circuler un peu plus de 3 000 trains chaque année, et chaque nuit nous transportons pas loin de 600 UTI au travers des 14 trains. Notre particularité : depuis 10 ans nous achetons nos créneaux de sillons auprès du gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau ce qui nous permet d’avoir une offre au plus proche des besoins de nos clients et d’assurer une bonne compétitivité par rapport à ce que propose le marché routier. Sur la très longue distance, nous sommes pertinents économiquement et nous avons une très bonne efficacité, que ce soit en termes de délai d’acheminement ou de performance énergétique. D’ailleurs, aujourd’hui, outre les acteurs du transport, ce sont aussi les responsables RSE qui nous contactent et se rapprochent de nos organisations pour passer au combiné.

Au cœur de la stratégie de transition énergétique, cette question du report modal devient de plus en plus prégnante, comment avez-vous vu évoluer ce secteur ces dernières années ?
SNCF Réseau a engagé il y a quelques années un changement d’outil pour la concession et la création des sillons qui permet d’avoir une meilleure combinaison des projections de circulation mais aussi des travaux. Cela nous offre une meilleure visibilité, nous sommes aujourd’hui de plus en plus agiles et nous avons des taux d’allocation beaucoup plus satisfaisants qu’ils ne l’étaient auparavant. Nous avons enregistré une croissance assez forte de plus de 10 % entre 2021 et 2022 et nous savons qu’il reste encore de la capacité sur le réseau, donc nous ne devrions pas avoir de difficulté demain à projeter de nouveaux trajets. En revanche, il y a certains créneaux horaires qui posent des difficultés pour la traversée de grandes agglomérations et cela pourrait être problématique si SNCF Réseau n’engage pas une bonne répartition entre l’activité voyageurs et l’activité fret. Tout le monde a pris, y compris SNCF Réseau, l’engagement, au travers du plan 4F, de tripler la part modale sur l’activité combinée, et pour cela, il va falloir assurer les créneaux de circulation qui permettront d’inscrire de nouveaux trains de fret longue distance.

Ce triplement de la part modale à l’horizon 2030 est-il une projection envisageable ?
Oui, c’est faisable. Évidemment, pour accueillir ces développements, il nous faudra des infrastructures, c’est-à-dire des terminaux de transport combiné sur lesquels nous effectuons le transport modal depuis la route vers le rail. Il est évident qu’il y a un besoin de création de nouvelles plateformes, c’est d’ailleurs ce que nous avons engagé depuis plusieurs années au travers du groupe Open Modal et nous avons prévu au printemps prochain d’ouvrir une nouvelle plateforme à Miramas, complètement digitalisée et décarbonée qui permettra d’accueillir quatre trains quotidiens de 850 m en statique, et pourrait monter à huit trains en traitement dynamique avec une circulation jour et nuit.

Prévoyez-vous de nouveaux développements à l’avenir ?
Nous avons récemment redéveloppé notre offre sur la partie sud-ouest et avons mis en place les connexions en Italie. Nous souhaitons continuer notre maillage national et travaillons aussi à mieux connecter notre réseau au niveau européen, notamment vers Anvers.

Vous indiquez une croissance de plus de 10 % en 2022, qu’en sera-t-il en 2023 ?
Nous n’enregistrerons pas de croissance cette année car nous expérimentons deux situations compliquées. La première étant la forte hausse de l’électricité qui est notre source majeure pour la traction des trains : celle-ci a été multipliée pat huit entre 2021 et 2023 ce qui est difficilement soutenable. La deuxième, ce sont les grèves qui ont fortement impacté notre activité et ont abouti à un premier trimestre de fort retrait, de l’ordre de -30 %. Le fret combiné a été l’un des premiers et des plus impactés par ces mouvements. SNCF Réseau n’était pas en capacité de maintenir les lignes de réseau ouvertes donc les trains longue distance avaient beaucoup plus de difficultés à circuler que ceux évoluant sur du fret courte distance. Cela a généré des reports modaux inversés de certains de nos clients qui sont repassés sur la route, il n’y a rien de plus néfaste… La filière est un peu en crise aujourd’hui et nous allons avoir besoin de soutien, à la fois de SNCF Réseau mais aussi des pouvoirs publics pour nous permettre de conserver notre compétitivité, sachant que nous avons aujourd’hui la technique qui répond le mieux aux attentes RSE, que ce soit sur la partie environnementale ou sociétale.

Dans une récente interview, Ivan Stempezynski, porte-parole de l’Alliance 4F et président du GNTC, regrettait que le fret ferroviaire et le combiné soient traités comme des « variables d’ajustement », qu’en pensez-vous ?
En effet, la pertinence et la résilience du fret ont été reconnues et on ne comprend pas qu’il y ait un tel manque de soutien. Nous sommes toujours en attente d’une réponse du gouvernement concernant l’attribution d’aides pour surmonter la crise énergétique, ce qui est complétement contradictoire avec la volonté du Plan de relance. Nous avons besoin d’avoir de la visibilité pour construire notre développement et nous assurer que la solution que nous allons mettre en place demain restera économiquement pertinente et compétitive. Nous avons aujourd’hui une organisation et une technique éprouvée qui a montré toute sa résilience. Nous observons des chiffres et des croissances à deux chiffres dans les pays frontaliers ou voisins, il n’y a pas de raison que la France, qui dispose d’un des plus grands réseaux en Europe, reste en difficulté avec son fret ferroviaire… Il faudrait laisser ses acteurs conduire ce changement et montrer que le fret ferroviaire a toute sa place dans l’environnement transport et est un partenaire complémentaire de la route qui ne peut mécaniquement à elle seule absorber l’augmentation des volumes à transporter, car dans tous les cas, on aura demain une pénurie de transporteurs et on ne sera pas en mesure d’acheminer toutes les marchandises consommées ce qui amènera à recourir au transport ferroviaire…

 

Anthony Cherubini, directeur général de T3M

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