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Approvisionnement, gestion des risques, emploi : quels changements face à la crise ?

Publié le 30 juin 2020

Approvisionnements repensé face aux contraintes sanitaires incertaines, nouveaux besoins de cadres experts pour piloter les supply chain en ces temps troublés, bons reflexes pour la mise en place de plans de continuité d'activité efficaces : la crise du Covid-19 amène à repenser de nombreux éléments dans les organisations mondiales. Tour d'horizon avec des experts du domaine.

1. Quel avenir pour l'approvisionnement dans un monde post-Covid ?

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Relocalisation, multisourcing, organisations logistiques plus souples et capables de basculer leurs flux selon les imprévus… Alors que la globalisation révèle son talon d’Achille dans un contexte pandémique, les supply chains internationales repensent leur approvisionnement.

S’il est encore trop tôt pour parler d’une remise en question du système actuel et de la globalisation des chaînes d’approvisionnement, la crise du Covid-19 aura clairement mis en lumière ses faiblesses. Jusqu’ici, les grands principes de la mondialisation et de l’optimisation régissaient les organisations supply chain, avec des processus de transfert des compétences et des savoirfaire (high-tech en Asie ou pharmaceutique en Inde et en Chine) entamés depuis plusieurs années. Un équilibre basé principalement sur la rentabilité et la souplesse de réseaux mondiaux qui ont été soudain mis à mal. « Nous sommes en pleine théorie du cygne noir : un évènement qui n’avait que peu de chance d’arriver, mais dont les conséquences sont considérables. Mais si l’on ne pouvait pas anticiper le virus, les risques liés à l’approvisionnement venu de Chine auraient pourtant pu être identifiés. On vit dans le déni sur ce sujet depuis des années en Occident », raconte Ariel Weil, directeur des opérations de QAD Dynasys. « Si l’on ne regarde que les coûts, l’approvisionnement depuis l’Asie est moins cher. Mais est-ce que les risques en matière de disponibilité et de délais étaient vraiment pris en compte ? ». Pour Diego de Lestapis, associé du cabinet de conseil Euklead, la supply chain actuelle repose sur un équilibrage entre trois dimensions : rentabilité, fluidité et sécurité. «Ce système fonctionne s’il n’y a pas de grains dans les rouages. Si la rentabilité était le maître-mot, la condition sine qua non, c’est la fluidité, et si celle-ci est remise en cause, tout est bousculé ». D’où un nécessaire rééquilibrage qui va nécessiter une sécurisation plus forte des flux, au moyen de schémas logistiques aux approvisionnements multiples, afin d’éviter les ruptures potentielles du monosourcing. « On observe aujourd’hui des arrêts sur les chaînes de production dans l’automobile causés par la supply chain d’un des fournisseurs ayant une seule usine au niveau mondial dont l’activité a cessé. Ce type de scénario va être analysé », constate Sébastien Lefebure, DG Europe du Sud de Manhattan Associates. Le concept du just in time, permettant aux biens d’arriver sur les sites au moment où l’on a besoin d’eux, risque également d’évoluer. « Les stocks de sécurité par exemple seront reconsidérés et ne seront plus forcément vus comme des sources de coûts. D’autant que cette démarche peut se faire en se basant uniquement sur les activités critiques des entreprises et pas forcément sur tous les produits, limitant les impacts financiers », assure Antoine Millot, conseiller en risques d’entreprise chez FM Global Europe du Sud. Un avis partagé par Diego de Lestapis : « Cette crise va remettre en cause certains principes de rentabilité. Il faudra solliciter sa trésorerie pour avoir des stocks pour ses produits sensibles, quand ceux-ci ne peuvent pas être produits à proximité ».

 

Mais de telles mutations pourraient avoir des impacts sur le transport – les prestataires de ce marché pourront-ils absorber une telle multiplication du sourcing ? – tout en se heurtant à la réalité des infrastructures : augmenter ses stocks, c’est augmenter ses surfaces d’entreposage, soit un coût financier et un problème immobilier. Autant de raisons pour lesquelles, ces dernières années, l’accent avait plutôt été mis sur l’efficience avec la diminution des stocks tampon, réalité qui pourrait poindre à nouveau au sortir de la pandémie. « Après chaque crise, on se dit tous que l’on va repenser sa supply chain mais l’expérience montre qu’au bout de plusieurs années, on est revenu sur des contraintes de rentabilité et on a rogné à nouveau sur les budgets liés à la gestion des risques », constate Stéphane Crosnier, managing director chez Accenture. Pour autant, l’incertitude de la situation actuelle – avec une maladie sans traitement ni vaccin – fait qu’il est difficile aujourd’hui d’imaginer un retour à la normale. « Les niveaux de demande, les canaux de distribution, les façons de travailler dans les entreprises vont être bouleversés longtemps », assure Stéphane Crosnier.

 

Relocalisation, une évolution possible ?

Émerge alors la question de la relocalisation dans une optique de sécurisation des flux, venant remettre en question les processus d’approvisionnement actuels de la supply chain. Mais jusqu’où pourrait aller cette relocalisation ? Face aux problématiques de coûts de la maind’oeuvre, la réimplantation de certaines industries et productions en France semble difficile à imaginer. Certains parient donc plutôt sur une vision européenne, qui pourrait bénéficier aux pays de l’Europe de l’Est tels que la Roumanie, sous réserve d’une analyse poussée bénéfices-risques afin de ne pas mettre en porte-à-faux la rentabilité. « La supply chain restera globale, et je pense que l’on peut exclure l’idée d’une relocalisation totale. On voit plutôt émerger l’idée d’une régionalisation de l’industrie, qui fonctionnerait par continents. Dans le contexte actuel, nous ne sommes pas à l’abri de voir des crises ponctuelles se développer dans certaines zones précises dans les mois à venir, avec des foyers qui reprennent. Avoir la capacité de changer son sourcing en fonction de ces mouvements me semble crucial », précise Florent Boizard, directeur de la division supply chain solutions chez Hardis Group. Car si la relocalisation peut apporter des avantages assez faciles à identifier – moins de délais, de risques de pénuries ou de surstock, possibilité de répondre aux nouvelles exigences du marché dont la réduction de l’impact carbone – les acteurs de la supply chain misent plutôt sur une multiplicité des sources d’approvisionnement. « Il est crucial d’avoir un mix au niveau de l’approvisionnement. Quand la crise a débuté en Chine en février, l’Europe était ouverte. Deux mois plus tard, c’était l’inverse. Il est donc important de savoir où s’approvisionner selon les situations, afin de ne pas dépendre entièrement d’une région », estime Ariel Weil. « Nous vivons aujourd’hui avec le risque de voir cette situation se renouveler : il faut que la supply chain sache s’adapter constamment à ces régimes transitoires », résume Philippe-Pierre Dornier, président de Newton.Vaureal Consulting.

 

Une multiplication des réseaux, plus près, plus agiles, afin de ne plus s’arrêter sur un seul schéma et penser la distribution et l’approvisionnement différemment. Cette optique, certains grands groupes l’avaient déjà mise en application. C’était le cas de Nissan par exemple, organisé par plateformes géographiques avec des usines et fournisseurs situés dans chaque région, et qui avait su maintenir quasiment sans vague son activité en Europe et aux États-Unis durant la crise de Fukushima en Asie par exemple. « On aurait pu penser que des industriels s’organiseraient de la même manière mais cela n’a pas vraiment été le cas », constate Stéphane Crosnier. Encore faut-il avoir les moyens de mettre cela en action : dans certains secteurs, tels que le textile, le manque de visibilité sur les mois à venir fait que les entreprises misent sur la prudence, ne prenant pas le risque de ressourcer plus près… et plus cher. Autre idée pour les supply chains industrielles : la différenciation retardée. « Nous avons des clients dans l’électronique qui s’approvisionnaient avec de multiples pièces presque identiques depuis la Chine. Désormais, la base de ces pièces va continuer à être sourcée en Chine, mais la finition va être faite au dernier moment par leurs équipes, qui étaient aujourd’hui plutôt orientées logistique mais vont être formées pour effectuer ces tâches simples de différenciation, au sein de leur organisation », raconte Bénédicte Krebs, senior manager chez Aloer. Une forme de ré-internalisation qui permet de ne pas perturber le prix de revient, tout en diminuant les stocks. De tels basculements n’auraient pas été développés auparavant, dans le contexte d’une supply chain mondiale réactive et fluide, mais émergent à nouveau face à la crise actuelle.

 

Imprévisible reprise

Dernière source d’interrogations pour les organisations supply chain : à quoi ressemblera la consommation dans un monde post-Covid ? Baisse de fréquentation, variabilité de la demande : le paysage économique de la sortie de crise reste aujourd’hui très incertain. Que va-t-on vendre dans deux mois ? Quels seront les effets des périodes de confinement sur la consommation du grand public ? « Les clients doivent anticiper car c’est maintenant qu’ils doivent s’approvisionner. S’ils n’ont pas les bons composants et produits au bon moment, on ajoutera un problème à un problème », craint Ariel Weil. Et certains secteurs sont plus soucieux que d’autres : « Dans le textile par exemple, il y a un manque de visibilité, car il est difficile de savoir comment le grand public va réagir. Il y a clairement une inquiétude sur un changement de comportement global. Face à cela, les entreprises font beaucoup de scénarios de reprise, restent prudentes, ne prennent pas le risque de ressourcer plus près et plus cher. Je constate un certain pessimisme. Certains ne croient pas en leur capacité à pouvoir réorganiser des productions avec toutes ces contraintes », regrette Bénédicte Krebs.

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