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Une moindre égalité des genres aux plus hautes fonctions (4/4)

Publié le 17 avril 2025

2. Entretien avec Salomée Ruel, docteure en sciences de gestion et professeure en supply chain management

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Comment les questions de genre évoluent-elles au sein du large spectre d’acteurs de la supply chain, tant du point de vue académique qu’opérationnel ? Salomée Ruel, docteure en sciences de gestion et professeure en supply chain management à Excelia Business School, nous partage le fruit de ses recherches.

Quels sont vos domaines d’expertise et comment en êtes-vous arrivée à vous intéresser aux questions de genre en supply chain ?

Deux voies principales se dessinent, parmi d’autres, pour les professeurs en supply chain management : les sciences de l’ingénieur, plutôt axées sur la recherche opérationnelle et les mathématiques, ainsi que les sciences de gestion, comprenant un volet chaîne d’approvisionnement et management des achats. Ayant emprunté cette seconde voie, j’ai obtenu un doctorat en 2013 à l’université Grenoble Alpes, puis une habilitation à diriger des recherches en 2021, auprès de l’université de Nantes. Une majeure partie de mes travaux se concentrent sur la résilience de la supply chain. J’ai également effectué, souvent en lien avec ce sujet, des recherches autour des systèmes d’information, de la digitalisation de la supply chain et de l’industrie 4.0. Enfin, mon sujet récréatif, qui prend beaucoup de place et me met souvent en lien avec les médias, concerne les questions de genre en supply chain. J’ai commencé à m’y pencher en 2017, alors que j’effectuais un mandat d’élue de six ans à La Rochelle, en tant que conseillère municipale à l’égalité des genres. Mon engagement sociétal et mes recherches m’ont amenée à faire le lien entre la supply chain et les questions de genre, que j’ai également ouvertes à la diversité, l’équité et l’inclusion.

 

Vous avez récemment identifié 238 articles académiques qui, lors de ces 47 dernières années, ont traité de manière plus ou moins directe des questions de genre en logistique et en supply chain management (1). Quelles différences notables avez-vous pu constater dans la façon d’aborder ces sujets au fil des décennies ?

L’évolution majeure concerne l’importance, la centralité du sujet du genre. Dans les recherches les plus lointaines, la différence de perception entre les femmes et les hommes n’était qu’une petite variable de contrôle, parmi des thématiques abordées toutes autres. Avec l’impression que cette variable atterrissait là par hasard, comme celles relatives à l’âge des répondants ou à leur niveau d’études. Dans les années 90 sont apparues de nombreuses recherches sur les carrières logistiques (le thème de « supply chain » n’était alors pas encore bien démocratisé). Les questions posées étaient très actuelles : Pourquoi existe-t-il des différences de salaires ? Pourquoi si peu de femmes sont-elles présentes ?... Ces recherches abordaient également les différences de perception des possibilités de carrière, selon que ce soient les hommes qui regardent celles des femmes ou les femmes qui regardent leur propre carrière. Le sujet s’est ensuite effondré, avant de réapparaître au milieu des années 2010, puis de prendre une plus grande ampleur actuellement, avec mes travaux et ceux de chercheuses et chercheurs internationaux. Le cabinet Gartner, qui s’intéresse à la question des femmes en supply chain depuis une dizaine d’années, a notamment contribué à ce regain d’intérêt. Enfin, le prisme du genre, c’est-à-dire la construction sociale de ce que l’on attend d’une femme, d’un homme ou d’une personne transgenre, est aujourd’hui bien plus prévalant qu’auparavant. Face à un fond sociétal ayant été éveillé par le mouvement « #MeToo », les acteurs de la logistique et la supply chain ont également commencé à s’intéresser aux problèmes qui les traversent.

 

Avez-vous des exemples de problématiques concrètes à partager ?

J’en ai plusieurs très réels, à commencer par une série de calendriers de femmes nues dans des vestiaires par exemple, illustration d’un sexisme qui n’est pas présent que dans le cinéma. L’absence aussi, justement, de vestiaires pour femmes dans certains lieux opérationnels, car il n’y a jamais été pensé qu’elles pourraient y travailler. Mais aussi la difficulté des femmes à s’intégrer, ainsi que les aprioris sur leurs capacités physiques à effectuer des tâches, alors qu’un haut niveau d’automatisation se met en place dans les entrepôts, rendant ce présupposé d’autant plus dénué de sens. Sans compter l’effondrement de la représentativité des femmes aux plus hauts niveaux hiérarchiques. On appelle cela le leaky pipeline, le tuyau qui fuit.

 

Comment expliquez-vous justement cette faible présence des femmes à des postes de responsabilité dans la logistique, le transport, et la supply chain au sens large ?

Aujourd’hui, nous estimons que se retrouvent tout de même 40 % de femmes, tous métiers confondus, au sein de la supply chain. Nous nous approchons ainsi de la parité, mais sommes plutôt dans ce que l’on nomme la mixité, qui débute à un ratio de 30/100. D’immenses disparités subsistent cependant dans les sous-catégories : le transport de marchandises compte très de peu de femmes alors que les départements de services après-vente manquent d’hommes. Concernant les postes de management, les entreprises doivent mettre en place des dispositifs flexibles permettant de soulager les femmes par rapport à tout ce qu’elles doivent déjà gérer dans leur quotidien, du fait que la société soit toujours injuste en ce sens. On ne peut pas attendre d’elles d’être des superwomen, à la fois au travail et à la maison. Certaines entreprises font encore dans la « paillette », le superficiel, en promouvant justement des superwomen, telles des vice-présidentes des opérations avec quatre enfants, auxquelles peu de femmes peuvent s’identifier ; le rôle-modèle peut aussi desservir.

 

Quelles mesures préconiseriez-vous aux entreprises du secteur pour une meilleure égalité de traitement ?

Une revalorisation des salaires premièrement. Rien n’empêche les entreprises d’augmenter toutes les femmes de 4 %, pour résoudre l’inexplicable. [Dans une étude, publiée en 2024, sur les écarts de salaire entre femmes et hommes, l’Insee expose qu’à poste comparable, c’est-à-dire à même profession exercée pour le même employeur, l’écart de salaire en équivalent temps plein est de 4 % entre les femmes et les hommes (2). Le revenu salarial moyen des femmes est quant à lui inférieur de 23,5 % à celui des hommes dans le secteur privé, ndlr]. Il faut aussi s’attaquer aux grilles d’évaluation, qui impactent les potentielles augmentations et autres primes aux résultats. Les objectifs sont-ils atteignables pour une femme, lorsqu’y sont intégrés de prévalant critères de disponibilité ? Les sociétés peuvent également décider d’imposer des règles de recrutement ou de promotion en interne [comme le fait notamment Geodis via l’incitation financière, en mettant en place des critères d’égalité de genre dans le bonus des cadres supérieurs, ndlr]. Ce sont des actions simples n’attendant pas de mesures coercitives, mais qui nécessitent simplement une volonté. Tant que les entreprises n’iront pas plus loin que ce que le cadre légal ne les oblige à faire, il ne se passera pas grand-chose. M.P.

 

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(1) Akbari, M., Ruel, S., Nguyen, H.T.M., Reaiche, C. and Boyle, S. (2024), "Toward gender equality in operations and supply chain management: a systematic review, research themes and future directions", The International Journal of Logistics Management, Vol. 35 No. 6, pp. 2057-2086. https://doi.org/10.1108/IJLM-08-2023-0336

(2) Écart de salaire entre femmes et hommes en 2022, Insee, mars 2024

(3) L'index égalité Hommes Femmes, Geodis, 2025

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