Interview
Stephane Cren, responsable innovation chez GS1 France
Très impliqué dans le développement de l’Internet physique appliqué à la supply chain, l’organisme collaboratif de standardisation GS1 réfléchit d’ores et déjà aux enjeux numériques soulevés par le sujet et participe activement à une chaire dédiée avec l’École des Mines.
En quelques mots, qu’est-ce que l’Internet physique et quels sont les leviers digitaux nécessaires à son développement ?
L’internet physique repose tout simplement sur la notion d’organisation en réseau. Exemple ? Des protocoles d’interconnexion généralisables ont été créés en matière d’information avec Internet, tous les îlots informatiques sont connectés les uns avec les autres, voilà ce que représente l’Internet physique. L’idée est donc de faire l’analogie entre le monde numérique et la logistique et de voir comment y reproduire ce type d’interconnexion généralisable. Nous ne serions plus dans un secteur où l’ensemble des chargeurs ont leurs propres plateformes, opèrent leurs propres flux, mais plutôt dans un réseau qui maximiserait la performance globale, économique, environnementale du secteur. La logistique est extrêmement professionnalisée, le niveau de performance y est très satisfaisant. Mais nous pensons qu’il faut désormais que les acteurs aillent voir en dehors de leur propre réseau pour se coordonner avec d’autres, pour créer de la performance, du dépassement de soi et pour être dans une logique de progrès. Chacun chez soi, il sera difficile de gérer l’automatisation des flux, les objectifs RSE et la performance. Avec l’internet physique appliqué à la logistique, tout cela est possible. Et cela passe notamment par une digitalisation des process et des interfaces numériques homogènes. Sur le volet numérique, il faut travailler bien au-delà de ce qui a été fait jusqu’à présent, le potentiel disponible en la matière est très fort pour nous aider à faire ce travail.
Typiquement, quelles seraient les illustrations de ces interfaces numériques communes ?
Ici et là émergent de nombreuses plateformes numériques collaboratives. Ces dernières permettent un changement de perspective : on passe d’une logique de chaîne d’acteurs à une logique de mise en réseau des acteurs. Mais ces plateformes numériques collaboratives émergent de façon individuelle les unes des autres, sans créer un tout cohérent. Chez GS1 France, nous commençons à travailler sur ce sujet de façon assez concrète. Nous cherchons à donner de la cohérence, de la structure, et à avoir des fonctions génériques qui permettraient à ces différents systèmes de se connecter les uns et les autres pour créer une interconnexion générique. Nous travaillons par exemple sur la prise de rendez-vous collaboratif. En France, une bonne dizaine de systèmes proposent des fonctionnalités de prises de rendez-vous collaboratives. Celui qui prend rendez-vous doit donc jongler entre tous ces systèmes, aller se connecter à chacun d’entre eux pour choisir des créneaux à la main. Cette automatisation peut être potentiellement très compliquée à gérer. Avec les acteurs du marché, nous entendons proposer la création des conditions pour que ces agendas numériques soient interconnectables les uns aux autres. Le transporteur pourrait alors faire le choix de son propre système collaboratif. Ensuite, l’outil qu’il aura choisi accèdera à l’ensemble des agendas numériques de ses destinateurs. Les agendas interconnectés permettront d’aller chercher l’ensemble des créneaux de rendez-vous disponibles et de tourner des algorithmes qui préconiseront les meilleurs agencements pour optimiser les tournées. Cette fonction générique pourrait très bien être une des premières briques de l’Internet physique. Autre exemple, la question du tracking des camions. Aujourd’hui tous les camions sont équipés de système d’informatique embarquée. La donnée existe mais vient alimenter le système d’information du transporteur et c’est tout. Or, il y a un intérêt à ce que cette donnée soit mise en partage, devienne objective et tangible pour mettre tout le monde d’accord et éviter les litiges. On est là aussi sur une idée de plateforme collaborative qui mettrait en lien transporteurs, chargeurs et des destinataires autour de données en partage. Mais cela impose toujours l’idée que le transporteur soit sur la même plateforme collaborative que le chargeur et le destinataire et va donc nécessiter que les uns et les autres utilisent pléthore de systèmes collaboratifs différents. Là aussi, nous avons besoin d’interconnecter des plateformes collaboratives les unes avec les autres, de créer des fonctions génériques entre elles pour que puisse s’opérer le transfert de données d’une plateforme à l’autre, en fonction de qui utilise quoi.
Parallèlement, vous travaillez sur le développement de nouvelles technologies appliquées à la logistique ?
Nous avons créé une chaire des Mines de Paris avec Carrefour, FM Logistic, GS1 France et Procter&Gamble sur l’Internet physique. Nous allons donc organiser des pôles d’expérimentations sur les nouvelles technologies, notamment sur la Blockchain, un sujet prioritaire. Chez GS1, nous avons des protocoles de communication entre des systèmes de traçabilité déjà standardisés avec une reconnaissance internationale. Nous sommes capables de les interconnecter et avons inventé un langage universel qui traduit ce qu’il se passe au niveau de la couche physique en un événement numérique : ce qui a été observé, où, quand et à quelle étape du process on se situe. Nous avons par exemple la mécanique et les standards pour produire de l’information sur un conteneur qui évolue sur la supply chain. La Blockchain est très intéressante puisqu’elle ajoute de la confiance sur ce système de traçabilité universel. Enfin, sur l’IoT, nous regardons de très près les technologies émergentes et déposons des projets pour obtenir des financements européens dans une optique de créer de la valeur dans la logistique.