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[Portrait] Fabien Jouvet, président de Skipper Groupe
Musicien, dessinateur, collectionneur et logisticien engagé dans la slow logistique. Fabien Jouvet est un touche-à-tout, engagé et bienveillant, qui marque les esprits par son écoute et sa justesse. Portrait du président de Skipper Groupe, logisticien à contrecourant, qui avance dans le bon sens.

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Romane Coston
« Je suis né sur les barricades en 1968, ce qui m’a donné un petit côté rebelle », démarre avec malice Fabien Jouvet. Le président de Skipper Groupe, connu pour avoir démocratisé le principe de slow logistique dans un secteur où tout doit toujours aller plus vite, affiche une affabilité naturelle. Depuis sa Drôme natale, il développe encore et, toujours le groupe familial légué par son père : « L’aventure entrepreneuriale a 100 ans cette année. Mon arrière-grand-père a démarré en 1925 en effectuant du transport de fruits de la vallée du Rhône à Rungis », raconte-t-il. Après une pause forcée durant la guerre – ses camions avaient été réquisitionnés – et quelques actions de résistance, l’entreprise se développe avec des clients plus industriels. Quelques années plus tard, en 1967, le père de Fabien Jouvet entre dans la société. Il y vit l’ascension des Trente Glorieuses, portée par une économie française en plein essor et un secteur du transport de plus en plus affirmé. Il prend alors la direction du groupe : « Pendant toutes ces années, il attendait avec impatience 1992 et l’ouverture des frontières pour concrétiser le maillage européen de l’entreprise, il sillonne les routes pour y arriver », détaille le président de Skipper Groupe. Nous sommes en juillet 1989, Fabien a 21 ans : « Mon père et son directeur général ont eu la mauvaise idée de croiser un pylône à Gérone, en Espagne et se sont tués en voiture. Le groupe s’est retrouvé décapité, sans patron emblématique. Mais en homme prévoyant, il me glissait une enveloppe dans la poche avant chaque départ ». La consigne était simple : « Si je ne reviens pas, tu fais ce qu’il y a dedans ».
Libre de créer
Dans cette enveloppe, le père de Fabien Jouvet demande à céder les activités du groupe en cas de drame. La famille décide de ne pas respecter les instructions et après quelques déboires, le 31 août 1992, le groupe s’effondre : « Les banques décident d’arrêter de nous suivre. Nous déposons les bilans de la holding et de quasiment toutes les filiales. J’ai 24 ans et je finis par conserver l’une de nos activités, le stockage. » Fabien Jouvet dispose de peu de moyens. En 1994, il prend la décision de se repositionner sur le marché de l’externalisation logistique, investit dans les systèmes d’information et propose une solution d’externalisation logistique de détail, portée par une forte combinaison entre gestion des flux physiques et informatiques. Le positionnement de l’entreprise porte ses fruits et en 1998, Fabien Jouvet baptise la société Skipper Logistique. Puis tout s’enchaîne : en 2000, il monte Skipper Technologies et en 2003, le premier plan de développement du groupe est lancé. « Mon père a passé beaucoup de temps au travail. Lorsque j’étais enfant, il partait à 6h30 et rentrait dîner à 20h au moment où nous partions nous coucher. Mais je n’ai jamais ressenti de manque, non seulement parce que ma mère était là mais aussi parce que lorsqu’il était à la maison, il était véritablement là. À chaque appel, il répondait, peu importe qu’il soit avec un client, un fournisseur ou ses équipes », se remémore son fils Camille avec qui il travaille aujourd’hui. Car si le président de Skipper Groupe garde le cap dans sa vie professionnelle, dans sa vie personnelle, il fourmille également d’idées : « Un adjectif qui le qualifie bien est “passionné”. Lorsqu’il entreprend quelque chose de perso ou de pro, c’est toujours avec passion. S’il pouvait juste ne pas se passionner pour trop choses en même temps, cela serait bienvenue », s’amuse Gwenhaël Bodnar, sa collaboratrice depuis près de 20 ans. Fabien Jouvet est notamment l’auteur de la bande dessinée L’épingle du roi, auto-éditée il y a trois ans ; mais aussi le batteur d’un groupe de rock et enfin, un fan absolu de l’Exposition universelle de 1958 à Bruxelles et un collectionneur fou de l’Atomium, monument construit à cette occasion. « Je suis aussi très proche de mes enfants. Cela fait partie de la suite de l’histoire. Mon fils Camille, après avoir dirigé les opérations américaines pendant quatre ans, est désormais directeur général du groupe et j’ai accompagné ma fille dans un projet hôtelier. J’essaie de leur transmettre la passion d’entreprendre. Je fais ce métier avant tout pour être libre et comme tout parent, j’essaie que mes enfants soient le mieux possible. L’entrepreneuriat, même si bourré de contraintes, est un moyen d’y accéder », confie Fabien Jouvet.
Libre de ralentir
Et c’est d’ailleurs avec cette même liberté que Fabien Jouvet tente de se poser depuis plusieurs années en patron responsable : « Ici, les liens hiérarchiques sont un peu rompus et la communication est ouverte. Nous nous ressemblons et évoluons ensemble, sans frein. Fabien sait mener l’entreprise avec une certaine forme artistique, à la façon d’un chef d’orchestre avec une partition », analyse Gwenhaël Bodnar. Et c’est ainsi que Skipper Groupe et toute l’équipe qui la compose se sont positionnées sur un segment inédit à l’époque, celui de la slow logistique et du ralentissement des flux. Un concept parfois moqué à ses débuts et désormais adoubé par de nombreux acteurs du secteur, conscients de la nécessité de ralentir : « Nous avons toujours entretenu un sens du décalage assez affirmé. Il ne s’agit pas d’être en opposition permanente, juste d’être nous. C’est notre état d’esprit, j’ai besoin d’authenticité et de transparence. Je n’ai rien inventé, c’est juste du bon sens. Le soir, quand je me couche et tire ma couette, je veux pouvoir me dire que j’ai fait du mieux possible ». Au réveil, à 57 ans, Fabien Jouvet n’est pas encore prêt à se laisser tenter par une grasse matinée, même si dans un coin de sa tête, il admet préparer la transmission avec son fils : « Mon père a la clarté d’esprit de me faire de la place et de faciliter la transmission. J’estime avoir beaucoup de chance de l’avoir comme papa. Il est notre idole à ma soeur et moi et nous allons essayer de faire aussi bien que lui. Nous nous efforçons de poursuivre notre histoire familiale, comme il l’a fait depuis toutes ces années de travail », conclut Camille Jouvet.
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