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Supply chains plus durables, d’accord, mais comment ?

Une tribune signée par Yann de Feraudy, président de France Supply Chain, association visant à fédérer, promouvoir et réfléchir à la supply chain de demain.

Publié le 25 mars 2024 - 15h54
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 France Supply Chain | Yann de Feraudy, président de France Supply Chain.

Si « l’impérieuse nécessité » de la décarbonation ne fait plus de doute, la conjoncture économico-politique apporte jour après jour son lot d’incertitudes qui font peser des doutes sur l’atteinte en temps et en heure des objectifs déclarés dans les feuilles de routes de nombreux acteurs.

 

Dans un tel contexte, quelle réponse apporter pour aller aussi vite que possible vers la cible ?
La collaboration entre acteurs serait-elle une réponse ?
En quoi la coopétition (coopération entre concurrents), la coopération client-fournisseur ou les alliances du type de la Shipper Coalition sont-elles source d’inspiration ?


Puisque les subventions attendues ne seront peut-être pas toutes au rendez-vous…
Puisqu’il apparaît de plus en plus clairement que la substitution aux énergies fossiles se fera par un mix énergétique, que l’énergie décarbonée ne sera pas abondante dans un premier temps et qu’elle sera plus chère…

 

Puisqu’enfin les solutions apparaissent compliquées à mettre en œuvre seul voire hors d’atteinte, il est grand temps d’engager des collaborations actives entre acteurs économiques.

 

Collaborer pour quoi ?

L’adage célèbre « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » nous aide ici à prendre conscience qu’il sera sans doute plus aisé d’atteindre les objectifs très ambitieux de la décarbonation des supply chains en collaborant avec d’autres entreprises. La collaboration entre acteurs économiques permet de sécuriser l’atteinte de certains objectifs sans attendre d’hypothétiques subventions étatiques.


En la matière, seul, on risque fort de n’aller ni vite, ni loin !


Face aux aléas et aux incertitudes, aux exigences réglementaires croissantes, aux complexités des réponses d’approvisionnement, de production de transports et stockage, d’articulation des flux et de vision supply chain circulaire, la collaboration entre les acteurs de la supply chain représente une, voire des solutions accessibles pour accélérer la mise en œuvre de solutions alliant performance économique, résilience et décarbonation.


Le 3e pilier du manifeste pour des supply chains plus durables de France Supply Chain, et les exemples qui y sont développés sont justement dédiés à cette puissante notion d’écosystème collaboratif. Voyez comme les exemples parlent d’eux-mêmes…


Où et comment s’exprime cette collaboration ?

La collaboration entre acteurs peut prendre diverses formes, mais elle s’exprime tout au long de la supply chain.


Sourcing et approvisionnement
L’utilisation de plastique est, à juste titre, de plus en plus décriée dans le secteur des produits de grande consommation et en particulier dans le monde de la beauté. Une start-up de Clermont-Ferrand, Carbios, a mis au point un processus industriel innovant de recyclage enzymatique des polymères, permettant de retrouver une molécule « neuve » à partir, par exemple de bouteilles plastiques usagées.


L’accès à la matière usagée est facilité par l’existence en France de filière de recyclage (par exemple le PET), le développement de Carbios est assuré par des marques majeures (dont certaines concurrentes) comme L’Oréal, Nestlé, Pepsico, Suntory ou encore Patagonia, Puma et Salomon… Fait plus remarquable, Carbios a pour actionnaires « stratégiques » Michelin, L’Oréal et L’Occitane, ces dernières étant concurrentes ! On passe ici de la collaboration à la « coopétition » où deux concurrents d’un même secteur coopèrent pour faire advenir un fournisseur stratégique innovant, tout en partageant ainsi les coûts de R&D et sécurisant, sur le long terme, leurs approvisionnements, la demande de plastiques recyclés étant environ dix fois supérieure aux capacités…

 

Production et recyclage
Les emballages carton sont un sujet dans tous les entrepôts qui cherchent à valoriser leurs déchets. Une entreprise du luxe est parvenue, avec l’aide des autorités locales, à fédérer les acteurs de sa zone d’activités pour ramasser et consolider les « déchets cartons » et les transférer à son fabriquant de boîtes d’emballage cadeau pour ses produits.


Au sein de France Supply Chain, nous avons eu des échanges sur les modalités de ramasse/recyclage des PLV en magasin ; chaque acteur traite le sujet isolément. Ici encore, une alliance entre les acteurs permettrait d’intéresser un prestataire et de mieux remplir les véhicules de ramasse.


Ces deux exemples nous montrent combien une collaboration, éventuellement initiée, voire orchestrée par un « tiers de confiance », peut avoir un effet de levier sur la performance, la réduction des coûts et des émissions.

 

Stockage et transports
À propos de « tiers de confiance », cela fait maintenant longtemps que les prestataires logistiques proposent à leurs clients des espaces mutualisés. Agissant ainsi, ils génèrent des économies sur les coûts fixes d’exploitation en mutualisant les opérations dans les plateformes, parfois XXL, plus efficaces énergétiquement avec un encadrement et des services partagés dont les coûts sont répartis sur les différents clients.


La mutualisation des stockages a donné naturellement naissance au « pooling » : Carambar & Co. Interlog Logistic avait remporté l’édition des « Rois de la Supply Chain 2020 » avec leur prestataire FM Logistic qui organisait la mutualisation des livraisons de leurs marques en grande distribution.
Par optimisation du remplissage des véhicules, les économies sur les coûts de transport, le fuel et le CO2 émis étaient substantielles.

 

Logistique urbaine
Ce mois de mars 2024, le Trophée de la meilleure coopération entre acteurs du programme EVE a été décerné aux Triporteurs Français avec Stef, Fleximodal, K-Ryole et DB Schenker. Ce partenariat entre cinq acteurs permet de répondre à la problématique du dernier kilomètre en centre-ville, en assurant la livraison quotidienne par vélos-cargo + remorques. à Rennes, ce sont en moyenne 10 tonnes de marchandises alimentaires qui sont livrées chaque mois par Stef et 80 tonnes de messagerie pour DB Schenker.

 

Slow logistic… le retour
Alors que je commençais la rédaction de cet article, j’ai fait la connaissance de Fabien Jouvet, patron de Skipper Logistique, Ardéchois, qui a le transport dans le sang. La première page de son site internet donne le ton tout à la fois iconoclaste, humoristique mais très professionnel : « Nous réalisons l’incroyable performance de livrer nos clients en 3 semaines ».


Skipper n’est pas dans la caricature : il y aura toujours besoin de livrer en express de l’insuline à un malade du diabète. Mais, tous les produits et services qu’on nous « inflige » (comme le chantait Alain Souchon) ne sont pas redevables de la livraison immédiate et son cortège de désoptimisations. En revenant à des techniques issues directement des fondamentaux du transport (tournée du laitier, etc.) Skipper mutualise les livraisons de ses clients et parvient à diviser par deux, le coût de la tonne- kilomètre et les émissions de CO2…

 

Les transports maritimes ne sont pas en reste

Le transport maritime est la colonne vertébrale des échanges mondiaux. Face à la réglementation internationale qui impose de diminuer de 70 % les émissions de chaque navire d’ici 2050, les armateurs considèrent les énergies alternatives, dont la force vélique.


Cet intérêt n’est pas que marginal : Arianne Espace transporte des éléments de fusée sur un bateau exploité par Neoline (partenaire de CMA CGM).


Mais, ces nouveaux bateaux sont chers (70 M€) et les entrepreneurs recherchent des engagements pour sécuriser leurs levées de fonds auprès des banques. C’est pour cela que France Supply Chain et l’AUTF ont décidé en 2022 de créer un tiers de confiance, une co-association « Shippers Coalition for Low Carbon Maritim Transport » afin de fédérer les chargeurs intéressés (aujourd’hui une douzaine) par un service maritime « bas carbone Europe – Amérique » et prêts à s’engager à confier un volume fixe de conteneurs, afin de permettre à Zéphir & Borée de mettre en chantier leurs bateaux.
La co-association SCLCMT a été récompensée en février 2024 du prix Transition énergétique maritime par l’Académie de Marine et la société SOPER.
Le projet de Zéphyr & Borée est de construire 10 navires « hybrides » utilisant la propulsion vélique et des carburants alternatifs. Zéphyr & Borée recherche encore de nouveaux chargeurs pour lancer ses constructions, une lettre d’intention non engageante suffit.


Enfin, un projet plus abouti et plus radical est celui de Grain de Sail Logistics, le commissionnaire de transport dirigé par Laurent Jeaneau, filiale de Grain de Sail.
À l’origine fabriquant de Chocolat à Morlaix, Grain de Sail souhaitait décarboner totalement ses transports de matières premières (pâte de cacao). Après la mise à l’eau d’un prototype pour valider la conception le Grain de Sail I, la performance et la robustesse du projet, Grain de Sail, vient de mettre à l’eau son navire cible « Grain de Sail II » capable d’emporter 350 tonnes ou 290 palettes de marchandises sur l’Atlantique en utilisant la seule propulsion vélique.
Il est clair que la capacité du navire et de ceux qui suivront, dépassent les besoins de Grain de Sail et c’est donc à travers Grain de Sail Logistics que s’opère la mutualisation qui permet à d’autres acteurs de décarboner leur transport maritime. L’opérateur logistique a trouvé sa clientèle avec de grandes marques françaises à l’export et à l’import pour certains produits récurrents. Grain de Sail II doit appareiller pour sa première transatlantique le 15 mars 2024.

 

À l’avenir, une coopération territoriale

Les différentes législations (décret tertiaire, ombrières obligatoires sur les parkings, etc.) vont contribuer à faire apparaître des bâtiments à énergie positive qui pourront rendre des services énergétiques aux territoires et aux communautés d’implantation (distribution d’électricité, station-service de rechargement). À condition toutefois d’adapter certains aspects règlementaires tels que la distribution d’électricité. En effet, ces unités pourront s’inscrire dans un réseau de rechargement de poids lourds en transit ou de VUL locaux, généralisant ainsi à l’échelle territoriale la collaboration.

 

Qui trop embrasse mal étreint

On pourra objecter ici que les exemples ci-dessus ne sont pas nécessairement « à l’échelle ». Certes, mais ils ont le mérite d’exister, de se développer de manière rentable au contraire des grandes déclarations et des méga-projets censés changer le monde et qui tardent à voir le jour. Quand ils ne se crashent pas misérablement.


« L’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse. »


Or, le temps presse, nous entendons déjà que le scénario de réchauffement à +1,5 degré °C en 2050 est déjà atteint. Faute de pouvoir prévoir, avec précision, ce qui nous attend, il nous semble opportun d’agir collectivement (donc en collaborant) pour obtenir rapidement des résultats tangibles.

 

 

À lire également : L’innovation en supply chain : slow logistics

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