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Crise et inflation : des perturbations durables pour les supply chains mondiales

Alors que l’inflation vient gripper la vie économique mondiale dans un contexte politique et sanitaire très incertain, les supply chains doivent apprendre à jongler entre variations de la demande et engorgements des flux internationaux. Plusieurs logisticiens témoignent d’une année 2022 particulièrement intense.

Publié le 8 juillet 2022 - 11h20

Les accalmies sur le front du Covid auraient pu donner au début de l’année 2022 des allures de retour à la normale pour les supply chains mondiales. Las, guerre en Ukraine et reprise de la pandémie en Asie ont mis de côté les prédictions les plus optimistes. Avec un nouveau phénomène en Europe, celui de l’inflation. Au début du mois de juillet, l’institut Eurostat constatait une hausse des prix à la consommation de 8,6 % sur un an en juin, avec une inflation de plus de 10 % dans neuf pays de l’Union européenne. Mais quel impact du côté des acteurs de la supply chain ? Pour les prestataires logistiques, le phénomène n’a aujourd’hui pas encore bouleversé les habitudes. « L’inflation n’a pas d’impact majeur sur notre organisation, car nous avons prévu et compensé ses effets par un accroissement de nos équipes commerciales, qui porte ses fruits en matière de développement sur l’ensemble de nos métiers », note Olivier Boubert, directeur commercial et marketing de Kuehne+Nagel France. Des effets réduits constatés aussi du côté de Bolloré Logistics, comme l’explique Henri Le Gouis, son CEO Europe : « Il est complexe de prendre la mesure de l’impact de l’inflation tant nous sommes sur une surenchère des taux du fret actuellement, avec des augmentations des tarifs à deux chiffres depuis deux ans. Nous subissons cependant la hausse des prix de l’énergie, et nous répercutons la montée du gazole ou du fioul pour l’aérien, ce qui a un effet procyclique sur l’augmentation des prix du transport, et par conséquent sur les produits importés ». Car l’inflation sur les matières première et l’énergie a un poids d’autant plus fort du côté des clients de ces 3PL, et de nombreux échanges sont en cours pour travailler sur les évolutions possibles, dans une optique de transparence et de collaboration. « Nous travaillons sur des plans d’actions pour limiter l’impact financier pour nos clients et réduire les coûts. Nous pouvons nous appuyer sur nos engagements en matière de développement durable, qui nous aident à maitriser nos coûts au niveau de la consommation énergétique, tandis que nos investissements continus pour nos collaborateurs, ainsi que dans nos équipements et installations, nous permettent de limiter l’impact de l’inflation en améliorant la productivité de nos supply chains et l’efficacité de nos opérations », révèle Bernard Wehbe, directeur général France de GXO.

 

Des évolutions plus subies que décidées

Les impacts sont donc à trouver dans le ralentissement de certains secteurs d’activité. Car si certaines entreprises répercutent cette inflation sur leurs prix de vente et continuent à fonctionner comme avant, la majorité subissent, surtout dans la distribution à l’import. « En Europe, on constate que les réapprovisionnements freinent, en particulier sur certains secteurs comme les biens d’équipement de la maison, pourtant très demandés lors des multiples confinements. Face à la hausse des coûts du panier moyen, les ménages réfléchissent à leur budget. Avec un choix plus large – d’autant que le tourisme a repris - et des dépenses contraintes plus élevées, on voit qu’il y a des arbitrages qui se font au détriment d’un certain nombre de produits », raconte Henri Le Gouis. Une décélération aux multiples visages : « Les principales raisons sont une situation de stocks complets ou de sur-stockage, en raison de la hausse des prix prévue ou de l’incertitude sur les approvisionnements du fait des matières premières et des conflits. À cela s’est ajouté le confinement de la zone industrielle de Shanghai pour cause de Covid, la baisse de la consommation, la vigilance sur les risques financiers des entreprises ainsi que sur les crédits à la consommation... », détaille Olivier Boubert. « La logique récente a été de stocker d’avantage et de réaliser des stocks de sécurité pour se prémunir contre les ruptures d’approvisionnement, mais encore faut-il des entrepôts disponibles...», souligne Henri Le Gouis. Or, la pénurie d’espace est réelle aujourd’hui, accentuée par les congestions généralisées sur les hubs mondiaux qui nécessitent une augmentation du stockage dans ces zones. « Il y a également une pression sur l’approvisionnement de certaines catégories de biens, notamment avec la crise ukrainienne et les effets du Covid en Asie. Demain, on va devoir repenser le concept de stock zéro, et les entreprises iront plutôt vers du double sourcing pour sécuriser les niveaux de stock et se prémunir contre des ruptures qui peuvent coûter très cher. Mais ces évolutions sont aujourd’hui plus subies que décidées ».

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Vers la réindustrialisation

D’où une certaine prudence de la part des producteurs et des distributeurs. « Nous sommes dans une période de repositionnement et de rééquilibrage. La guerre en Ukraine crée une pénurie de matière première, surtout du côté de l’énergie, mais ce sont des interrogations qui allaient de toute façon émerger. La situation actuelle n’est qu’un bond en avant de cinq ans »? note Jean-Patrice Netter, président et fondateur de Diagma. Dans ce contexte, on observe une accélération de la réindustrialisation, principalement en Europe, avec un retour de certaines lignes de production en France par exemple pour avoir des stocks disponibles rapidement à proximité en ajustant les niveaux de production. Des phénomènes isolés pour le moment plutôt qu’un mouvement généralisé, mais qui interpellent les logisticiens. « Nous travaillons en étroite collaboration avec nos clients pour anticiper les volumes, afin d’adapter au plus juste les ressources humaines nécessaires pour les opérations. Le tout pour assurer la bonne adéquation entre nos équipements et nos installations, l’utilisation de la technologie et les Hommes. Nous sommes attentifs à travailler en amont, aux côtés de nos clients, pour mettre en place des solutions durables qui leur permettront de bénéficier demain de l’optimisation de certains coûts », souligne Bernard Wehbe.

 

Repenser les stocks

Reste la question des stocks dans ce contexte inflationniste. Après le Covid, certains distributeurs ont souhaité étendre leurs stocks pour éviter les ruptures. Est-ce que la hausse des prix pourrait remettre en cause cette situation ? Les logisticiens estiment que non, bien au contraire : « Les stocks ont plutôt tendance à augmenter pour la plupart de nos clients du fait de la baisse de la consommation. C’est le cas dans le domaine non-alimentaire, mais aussi chez les grands industriels de l'alimentaire, qui subissent le report des consommateurs vers les marques de distributeurs, moins coûteuses. De plus, les volumes attendus en e-commerce sont beaucoup moins importants que prévus », indique Bernard Wehbe. L’enjeu se porte ainsi sur les problématiques de manque d’espace : « Nous avons besoin d’entrepôts de débord pour accueillir les marchandises. Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur notre forte présence en France avec près de 80 sites logistiques et un large éventail de partenaires ». Plus généralement, les clients et leurs logisticiens prennent désormais en compte l’allongement des délais dans leur planification, avec des stocks prévus sur des temporalités plus longues. « Il y a plus d'anticipation, car les délais de production et de transport sont plus longs que par le passé. Dans le maritime, il faut parfois attendre avant qu’un bateau puisse accéder à un port, tandis que l’aérien est encore affecté par un sous-dimensionnement de ses capacités par rapport à la demande », explique Olivier Boubert.

 

Dans ces conditions, les réflexions de transformation de la gestion de stock portent plutôt sur l’optimisation des flux, afin de dégager du temps de production. « Aujourd’hui, les supply chains s’appuient sur beaucoup de stock, et cette stratégie n’est pas une source d’inquiétude pour nos clients. Nous travaillons actuellement avec une entreprise qui affichait des délais de production industrielle de l’ordre de neuf mois, avec de forts surcoûts. Dans ce contexte, cette entreprise s’est donc penchée sur son niveau de stock. Pour répondre à leurs problèmes, ils sont passés sur une solution de gestion des stocks plus précise, avec une synchronisation des opérations end-to-end. Cette optimisation des opérations a permis de réduire le temps de production, qui est passé de neuf mois à seulement une trentaine de jours, soit uniquement seulement la somme de leur temps opératoire. Avec, à la clé, un gain pour le stock très important », rapporte Jean-Patrice Netter. Des réflexions qui doivent également toucher à la transformation de la supply chain : « Tout d’abord au niveau de la décarbonation, qui passera par un certain nombre d’actions de longue haleine. Là-dessus, nous aurons un rôle important à jouer pour nos clients, en tant qu’organisateur de transport. Mais il faut réfléchir aussi en termes de double sourcing. Quand vous avez plusieurs sources, vous minimisez les risques », estime Henri Le Gouis.

 

Une deuxième moitié 2022 incertaine, mais pleine de projets

Dans l’attente de ces supply chain de demain, optimisées et réadaptées aux nouvelles réalités économiques, quelles perspectives pour la seconde moitié de 2022 ? « Nous avons traversé un premier semestre très agité. La deuxième partie de l’année pourrait être différente. Une fois les stocks reconstitués suite aux confinements en Chine, on pourrait voir une demande plus modérée. Si on ajoute à cela la reprise des vols passagers, on pourrait revenir à des taux de fret plus réalistes. Mais tout cela reste difficile à mesurer, et les tensions demeurent fortes, avec des ports et des aéroports très perturbés, et beaucoup de points de frottement sur la supply chain mondiale qui nuisent à la fluidité. Le risque de perturbation n’est pas derrière nous et on voit que nous ne sommes pas encore sortis du Covid. Un ralentissement économique pourrait au moins détendre l’offre et la demande, mais on navigue à courte vue », détaille Henri Le Gouis. Sans pour autant engendrer d’impacts sur la dynamique commerciale, comme chez GXO : « Ce premier semestre marque une croissance absolue pour notre entreprise, avec de nombreux nouveaux contrats, dont trois plateformes mécanisées qui ouvriront très prochainement. Nous observons une tendance similaire sur le second semestre avec l’accélération de la modernisation et l’automatisation d’une partie de nos sites existants, incluant un projet de déploiement de 400 AMR Geek+ pour l’un de nos clients historiques dans le secteur du retail omnicanal », détaille Bernard Wehbe. Même en temps de crise, la supply chain poursuit ses avancées.

 

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