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Économie circulaire : la transition logistique en marche

Publié le 20 avril 2020

La transition vers un nouveau modèle basé sur la réduction de l’exploitation des ressources, privilégiant le recyclage et la réutilisation, s’ancre dans les discours. L’adoption fin janvier 2020 en France du texte de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire confirme la tendance. Si les initiatives éclosent dans ce domaine, pour le secteur de la supply chain, grand maître d’oeuvre des flux physiques, ses principes et ses enjeux restent encore à saisir et à mettre en oeuvre avec l’ensemble des parties prenantes.

1. La transition logistique en marche

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Face à l’épuisement des ressources planétaires, aux enjeux écologiques cruciaux et à l’implication citoyenne croissante, le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, adopté définitivement le 30 janvier 2020 par le Sénat aura permis de mettre en lumière un modèle encore méconnu du grand public. Constitué de plus de 130 articles, celui qui a pour ambition de « transformer notre système en profondeur », recouvre plusieurs problématiques impliquant divers secteurs. Mais quels changements pour la filière logistique ? Le secteur a-t-il acté l’émergence d’une démarche créatrice d’un nouveau modèle économique impliquant une remise en cause systémique ? Pour Julien Darthout, associé chez CPV Associés et délégué général du Club Déméter, association oeuvrant pour une logistique responsable, « la notion d’économie circulaire est beaucoup plus acceptée dans le langage commun. Quand le terme est apparu, il était très conceptuel, mais la communauté des logisticiens a aujourd’hui compris que ses métiers étaient compatibles avec ce concept, et pas seulement pour le recyclage et la réutilisation des ressources mais également pour leur réduction ».

 

Si les principes d’économie d’énergie, de diminution des déchets, de réemploi des matériaux… mettent d’accord l’ensemble des acteurs, une démarche pédagogique reste à déployer pour ancrer ce terme dans le secteur du transport juge néanmoins Julien Darthout pour qui la notion d’économie circulaire est encore trop souvent seulement rattachée à celle du recyclage. Une prise en compte globale que le député écologiste des Bouches-du-Rhône, également président-fondateur de l’Institut national de l’économie circulaire, François-Michel Lambert, juge de son côté en régression avec « une dégradation de la perception de la dimension de l’urgence politique et donc sociétale » autour de la notion. « On est passé d’une économie circulaire fondée sur les limites de la planète à une économie circulaire de gestion des déchets et de traitement de la pollution visuelle, observe-t-il. De facto, on s’est éloigné de l’économie circulaire 2.0 basée sur le partage et sur une mobilisation des experts de la supply chain pour inventer un nouveau modèle économique. Aujourd’hui, on demande seulement d’optimiser le modèle linéaire en gérant mieux les déchets », juge le député à propos du texte de loi adopté

 

Poussée par le marché et la réglementation

La société O2M Conseil, cabinet d’accompagnement en développement durable, observe que le terme d’économie circulaire est encore très peu utilisé. « Les gens ne savent pas trop ce qu’il recouvre. On parlait initialement d’écologie industrielle qui consistait à utiliser des déchets comme matières premières. Aujourd’hui l’économie circulaire est une notion beaucoup plus large », observe Fanny Pénet, consultante énergie carbone RSE au sein du cabinet. Cette dernière relie cette terminologie à « une autre manière de parler du développement durable », une notion pour le coup largement adoptée par les entreprises à travers la RSE. Aujourd’hui, les démarches s’inscrivant dans cette économie circulaire sont encore principalement poussées par le marché et la réglementation, et non par une volonté profonde d’adopter ce modèle. « Les entreprises se demandent comment elles se positionneront demain sur ces nouveaux marchés. Il existe également des sociétés qui se créent autour d’écoactivités, leur coeur de métier étant en lien avec ces thématiques nouvelles. Elles vont alors intégrer une réflexion autour de l’économie circulaire et la manière dont leur produit va s’intégrer dans cet écosystème en réfléchissant à son cycle de vie », poursuit Fanny Pénet. Un cheminement qui peut naître grâce à un dispositif comme le programme EVE [Engagements volontaires pour l'environnement – transport et logistique] qui concentre plusieurs initiatives (Fret 21, Charte Objectif CO2, EVcom) impliquant divers acteurs de la logistique – chargeurs, transporteurs, commissionnaires… : « Ce sont souvent des projets menés avec des partenaires. Si un distributeur s’engage dans le dispositif Fret 21, il va intégrer ses transporteurs qui eux-mêmes vont viser la Charte Objectif CO2… ».

 

Mettre la logistique au niveau

Une approche inclusive qui nécessite ainsi d’intégrer l’ensemble de son écosystème. Avec cette remise en cause de l’économie linéaire, la supply chain se retrouve par sa nature même concernée de prime abord par la question. Actrice principale d’une gestion optimisée des flux, il ne peut y avoir d’économie circulaire sans mener une réflexion autour des moyens logistiques à mettre en oeuvre pour l’incarner sur les maillons du transport, de l’emballage et de la gestion des produits devenus déchets. « Les logisticiens l’ont plutôt bien compris et savent qu’ils ont tous un rôle un peu plus actif à jouer pour l’accompagner. Ce n’est pas pour autant que l’on observe des solutions nouvelles sur le sujet, indique Julien Darthout. Néanmoins, des acteurs historiques travaillent déjà sur la logistique circulaire parfois sans le savoir, notamment les acteurs des emballages réutilisables ». En effet, les démarches de mutualisation des palettes, de réutilisation et de recyclage des déchets à l’oeuvre dans la filière contribuent à l’élaboration de ce nouveau modèle économique. « Nous accompagnons des entreprises sur le sujet avec des outils dédiés à des démarches environnementales mais qui sont davantage liées à leurs activités logistiques et qu’ils vont vouloir mettre en place sur l’ensemble de leur chaîne de valeur », corrobore Fanny Pénet.

 

Parce que la logistique circulaire demande bien souvent de modifier le business model des entreprises, sa prise en compte n’est ni évidente, ni intuitive pour ces dernières, sauf lorsque leur modèle s’est créé en fonction d’elle. « Prenons l’exemple du mobilier de bureau : reprendre les anciens meubles et les remettre à neuf est une activité que l’on ne sait pas très bien faire car le coût de la logistique pour les récupérer et les relivrer est encore trop élevé », observe Rémy Le Moigne, managing director de Gate C, cabinet de conseil aidant ses clients à saisir la valeur de l'économie circulaire. Également auteur de l’ouvrage L’économie circulaire, stratégie pour un monde durable, ce dernier observe que l’un des principaux freins à la mise en oeuvre de ce nouveau modèle demeure la logistique : « Elle coûte encore trop cher sur cette opération de récupération des produits usagés. C’est un chaînon indispensable à l’économie circulaire mais c’est malheureusement aujourd’hui le maillon faible. Et plus on va avancer, plus les contraintes sur cette logistique de retour vont être importantes », juge-t-il.

 

Des démarches en cours

« Le premier acte de l’économie circulaire, c’est la réutilisation, juge Julien Darthout. Cela doit amener certaines entreprises, distributeurs ou industriels, à réfléchir davantage à ces solutions ». Le délégué général du Club Déméter observe des « efforts à réaliser sur le recyclage des emballages complexes a contrario de celui des emballages les plus volumineux qui bénéficient d’une bonne organisation de la filière ». L’association avait à ce sujet réalisé en 2018 l’outil ÉCEM (Économie circulaire des emballages secondaires et tertiaires) proposant à ses membres de comparer une solution d’emballage A à une solution B d’un point de vue circulaire, à partir de cinq critères majeurs : fonctionnalités opérationnelles, empreintes économique, environnementale, sociale et fi n de cycle. « Pour le recyclage, il est crucial de massifier les gisements pour pouvoir les traiter. La logistique est donc très importante », juge Nathalie Boyer, déléguée générale d’Orée [association multi-acteurs engagée pour échanger et mettre en place une dynamique environnementale au service des territoires, ndlr] qui décrit « trois grandes pistes » autour de la mise en oeuvre de l’économie circulaire dans les transports : la mutualisation, la substitution et l’optimisation. Cette dernière revêt diverses formes, intégrant la mise en commun des livraisons, la réduction des distances parcourues et la substitution, quand cela est possible, du transport par route au ferré et au fluvial : « L’économie circulaire propose de produire et consommer au niveau local en créant des boucles et en faisant donc appel à la logistique de proximité, décrit-elle. Il s’agit de repenser toute la chaîne logistique à travers, notamment, l’optimisation du chargement des véhicules en évitant les retours à vide et en réduisant le poids et le volume des emballages, en optimisant l’emplacement des noeuds logistiques, en favorisant le transport multimodal ou combiné et en mutualisant les besoins ».

 

Ainsi, si l’adoption du terme et l’imprégnation pédagogique autour de l’économie circulaire tardent, les démarches ne sont pour autant pas inexistantes. Rémy Le Moigne décrit dans son ouvrage les différents business models mis en oeuvre : le recyclage des matières en boucle longue, celui des matières en boucle courte, l’exploitation de symbioses industrielles, le prolongement de la durée de vie d’un produit, la vente de l’usage d’un produit, le partage de l’utilisation d’un produit. Des modèles intégrés à différents niveaux de la chaîne, que ce soit sur la partie vente, la filière achat ou encore le maillon de la production : « Il peut s’agir de vendre des produits que l’on va récupérer puis remettre en vente plusieurs fois. Sur la partie achat, cela peut consister à acheter des produits déjà utilisés une fois mais à un prix plus faible… », décrit-il. Quant à la menée d’« exploitation de symbioses industrielles » ? « Un vrai gisement », selon l’expert : elle vient redonner une valeur résiduelle aux déchets industriels issus d’un procédé de fabrication qui sont réutilisés comme matières premières pour un autre : « L’industrie produit actuellement environ 10 % des volumes de déchets et ces derniers ont souvent de la valeur qu’il est possible de réutiliser dans d’autres processus industriels ». S’il se révèle encore aujourd’hui complexe de trouver des débouchés sur cet axe, la démarche étant encore récente, « avec l’avènement de nouvelles technologies, de la data, de l’IA…, on commence à voir apparaître des solutions permettant de mettre en relation ces industriels : entre le producteur de déchet et celui qui est intéressé pour en faire une ressource », poursuit-il. Le déchet, bête noire d’une économie fondée sur un processus de circularité peut également s’inscrire dans un schéma de mutualisation. L’article L541-1 du code de l’environnement prévoit que « les politiques publiques promeuvent le développement de l'écologie industrielle et territoriale » en optimisant les flux des « ressources utilisées et produites à l'échelle d'un territoire pertinent, dans le cadre d'actions de coopération, de mutualisation et de substitution de ces flux de ressources, limitant ainsi les impacts environnementaux et améliorant la compétitivité économique et l'attractivité des territoires ». À ce sujet, Justine Bain-Thouverez, avocate en Droit de l'Environnement et de l'Energie chez LLC et Associés, observe : « Dans le cas où il y a de petits gisements de déchets à forte valeur ajoutée (déchets électroniques, plastiques, véhicules hors d’usage…) entre les mains des acteurs de la logistique, la collecte pourrait être optimisée pour permettre une mutualisation et viabiliser leur valorisation/recyclage. Par la suite, les produits pourront être réparés afin de leur donner une seconde vie ou leurs pièces détachées être récupérées ». Évoquer l’économie circulaire aboutit ainsi inévitablement à aborder le concept de reverse supply chain et sa démarche de gestion de retour du produit qui doit être pensée dès sa conception.

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