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Covid-19 : l'agroalimentaire en première ligne

Publié le 1 juillet 2020

Évoluant dans un contexte de consommation imprévisible, la filière agroalimentaire est devenue le pilier principal du commerce, avec l’industrie pharmaceutique, durant le confinement. À la manœuvre durant la crise, cela n’a pas empêché certains de ses segments d’être fortement impactés.

1. Le secteur de l'agroalimentaire en première ligne

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Dans l’ensemble très sollicitée durant la crise sanitaire, l’industrie agroalimentaire a su montrer ses ressources organisationnelles, logistiques et l’efficacité de sa chaîne d’approvisionnement pour éviter la pénurie.

Si Antoine Vignon, directeur général de Vif, éditeur spécialiste des logiciels pour l’industrie agroalimentaire, observe « une forme de résilience » de ce secteur comparé à d’autres durant le confinement, il tempère néanmoins : « Même si l’industrie agroalimentaire a globalement continué à travailler, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’impact. Les organisations ont généralement été profondément modifiées, pas seulement en termes de travail mais également au niveau de la demande du marché ». Une réorganisation rendue nécessaire afin de s’ajuster face à cette demande bouleversée, tandis que certains segments de la filière ont par ailleurs été fortement touchés : « La fermeture de tous les réseaux RHF (restauration hors foyer) a eu un impact important. Et ceux qui évoluaient sur d’autres typologies de canaux de distribution comme la GMS (grandes et moyennes surfaces) ont également dû réagir, que ce soit pour faire face à des croissances de commandes ou pour adapter leur offre ». Des réajustements qui ont aussi vu les marques de distributeurs, positionnées en baisse ces dernières années, « repartir en flèche à cause de la crise des volumes ».

 

Avec certains secteurs en souffrance comme celui des produits alimentaires festifs, alors que d’autres expérimentaient une forte hausse à l’instar des matières premières, l’industrie agroalimentaire a donc dû, en temps réel, se réinventer pour pouvoir offrir au marché ce qu’il demandait. Dans une consultation lancée entre le 4 et 7 mai 2020 auprès de 600 entreprises de toutes tailles et tous secteurs, l’Ania (Association nationale des industries alimentaires) observe cette situation nuancée avec une baisse globale de chiffre d’affaires du secteur de l’ordre de 22 % sur la période de confinement par rapport à l’activité habituelle. Les entreprises du secteur évoquent par ailleurs une augmentation des coûts mettant à mal leur rentabilité : « Les hausses de prix de matières premières, transports, maintenance ou équipement de protection des salariés, augmentent les coûts de production en moyenne de 9 % depuis le début de la crise », détaille le communiqué.

 

Une réorganisation de la filière

Ces difficultés n’auront pas empêché le secteur de faire preuve d’agilité durant le confinement : livraisons déposées au pied de la porte, sécurisées par une photo envoyée au client, adaptations face à la hausse de la livraison à domicile… « Ses acteurs ont su se montrer très réactifs », poursuit Hélène Kerjean, responsable marketing produits supply chain, de l’éditeur de solutions logicielles Akanea, notamment spécialisé dans la gestion de la logistique de l’agroalimentaire. Cette dernière observe la mise en place d’une véritable solidarité, beaucoup de chauffeurs ayant pris la route sans exercer leur droit de retrait malgré des conditions sanitaires inadéquates au départ. « La filière agroalimentaire s’est vraiment réorganisée. Il a fallu repenser les schémas d’approvisionnement et les plans de transport routier, ce qui a été complexe. Les soucis d’importation en provenance d’autres pays ont nécessité une refonte des schémas logistiques en circuit court auprès de producteurs locaux notamment et cela a pu engendrer des retours à vide de camions, et donc des hausses de prix du transport ».

 

Hélène Kerjean évoque également, dans cette situation complexe, des mouvements d’entraide conduisant à des transferts de commandes entre transporteurs afin d’être les plus réactifs possible. « L’industrie agroalimentaire, du fait de ses contraintes historiques, a une capacité de résilience supérieure à la moyenne : ce n’est pas la première crise par laquelle elle passe, elle l’a déjà expérimentée à plusieurs reprises lors de scandales sanitaires », confirme Antoine Vignon. Une adaptabilité et une désorganisation évitée au prix d’une optimisation des flux de transport revue à la baisse. Quelles auront été dans ce contexte les possibles apprentissages pour le secteur ? Ils résident sans doute dans l’anticipation, et la capacité à monter des scénarios pour réagir au mieux, juge Antoine Vignon : « Les industriels qui avaient mis en place des rituels de simulation pour pouvoir se préparer à l’impréparable, ont su voir “plus clair” que les autres. Finalement le sujet ne réside pas tant dans le fait d’avoir la bonne réponse que dans cette capacité d’adaptation, la plus rapide possible, à différents scenarios ».

 

Piloter en boucles rapprochées

Il s’agit pour le secteur, de se montrer opérationnel dans ce contexte postconfinement, malgré ses nombreuses inconnues. Pour autant, la problématique de prévision des ventes y demeure essentielle, rappelle Yohann Gallard, chef de produit supply chez Vif, pour qui, dans les périodes de crise, les industriels de l’agroalimentaire requièrent plus que jamais visibilité et collaboration : « Les industriels ont besoin de boucles de prévision beaucoup plus fréquentes que d’habitude. Là où les choses pouvaient se réguler de manière mensuelle, on doit aujourd’hui réaliser des boucles hebdomadaires, voire journalières. En cette période de crise, regarder dans le rétroviseur pour prévoir le futur s’avère compliqué. Les prévisionnistes doivent fournir un gros travail pour gérer les évènements exceptionnels dans le futur et retraiter les historiques de ventes car ils ne sont pas du tout représentatifs de ce qui se passe habituellement ».

 

La partie prévision des ventes se doit donc d’être beaucoup plus collaborative que d’habitude : plus fréquente et plus rapprochée. Il s’agit ensuite de poursuivre les autres étapes du processus S&OP pour valider la capacité à répondre à cette demande actualisée : « Le processus S&OP ne prend pas la décision à la place de la direction mais vise à apporter divers éléments pour l’éclairer. Les industriels ont besoin en ce moment de simuler, via le S&OP, l’impact de la variation de leur demande commerciale sur leurs stocks, de remettre en cause des décisions sur des positionnements promotionnels, de réévaluer le dimensionnement des capacités, les sourcings de matières stratégiques. Dans la lignée du processus prévision, alors que toutes ces décisions se prennent habituellement à fréquences plus distendues, il faut piloter en boucles plus rapprochées l’ensemble de ces aspects qu’ils soient financiers, industriels ou en réponse au besoin marché ». Suivent ensuite les étapes de planification pour ajuster l’organisation des ateliers, piloter les stocks des produits, les capacités des usines, et y associer la composante liée à la disponibilité du personnel : « Cet aspect pilotage de main-d’oeuvre doit être intégré pleinement dans les boucles de planification », poursuit Yohann Gallard, avant de souligner un autre élément primordial à considérer durant cette reprise : celui de la sécurisation des achats et des approvisionnements notamment pour les matières sourcées mondialement. « Dans l’agroalimentaire, il y a fréquemment des matières stratégiques présentes sur des marchés mondiaux. En cette période de crise, ces mécanismes d’approvisionnement sont en tension et nécessitent plus d’attention encore qu’à l’habitude. Comment ? Au niveau de la stratégie d’achats de l’entreprise, il faut sécuriser les contrats, et les sourcings. Sur le processus d’approvisionnement ensuite, on va chercher à piloter au mieux les stocks de matières premières afin de répondre au besoin de production et aux demandes des clients ». Au final, la supply chain dans son intégralité est ainsi sollicitée. « Aujourd’hui tout ce que l’on sait c’est qu’on ne sait rien et finalement ce n’est pas tant cela qui est important mais d’être capable de réagir et de s’aligner dans la réaction face à un environnement incertain », résume Antoine Vignon.

 

Une transition numérique

Un challenge à relever, qui nécessite, en plus de la compétence humaine, des processus support bien à jour et des outils réactifs pour les supporter. Il s’agit d’un des enjeux soulevés par l’Ania dans son communiqué du 12 mai dernier où elle indique : « Les industriels estiment que l’activité mettra du temps à redémarrer. Bon nombre de projets d’investissement ont été annulés, faute de visibilité sur le business ou de trésorerie pour assurer leur financement. Pour autant, les entreprises gardent leurs ambitions initiales intactes et affirment majoritairement que la crise ne doit pas les éloigner de leurs objectifs de modernisation, durabilité et de résilience ». L’association nationale des industries alimentaires invoque à ce sujet la nécessité d’un plan de relance volontariste, jugeant indispensable la mise en place d’une politique industrielle permettant notamment « l’accompagnement des transitions écologiques et numériques qui renforcerait la résilience de la filière en sortie de crise ».

 

Une transition numérique qui, déjà lancée, pourrait avoir trouvé, à l’aune de cette crise, un nouvel élan. Chez Akanea, Hélène Kerjean observe une nette augmentation des demandes, ces dernières semaines, pour passer en mode dématérialisé : « Nos clients y ont trouvé une vraie utilité, et de la souplesse. Nous avons eu notamment des demandes sur la dématérialisation des factures ». Même constat chez Vif qui proposait à ses clients ses outils dans le cloud : « L’utilisation de nos outils Web a pris un visage particulier pour nos clients avec l’augmentation du télétravail : cela leur apporte un confort d’usage et facilite la collaboration là où les outils plus traditionnels peuvent être limités », détaille Yohann Gallard.

 

L'accompagnement publique

Face à la crise, l’urgence de relocalisation a également été largement commentée, notamment sur la supply chain pharmaceutique. Avec l’apparition de boucles plus locales, le visage de l’industrie agroalimentaire et de ses approvisionnements pourrait-il également être modifié au sortir de ce confinement ? « Une prise de conscience s’est faite sur notre trop grande dépendance pour l’importation de produits frais notamment. Cela devrait redévelopper l’agriculture française au sens local du terme, pour un meilleur équilibre. En conséquence, dans certaines régions, les schémas logistiques devraient croître parce que l’on fera davantage appel à des producteurs locaux. Il faut néanmoins que ce soit accompagné d’une volonté politique », juge Hélène Kerjean. De son côté, Antoine Vignon rappelle que l’industrie agroalimentaire française possédait d’ores et déjà un positionnement local en termes d’outils de production, ne faisant pas d’elle la plus dépendante des supply chains globalisées. S’il n’anticipe pas un retour tonitruant vers des producteurs locaux, moins sollicités que le bio par les Français, cela devrait néanmoin, selon lui, « renforcer l’importance pour la France d’avoir un outil productif qui réponde à ses besoins car l’agroalimentaire tout comme la pharmacie est aujourd’hui considérée comme une industrie de première nécessité ».

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