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Immobilier

Face à ses défis, l'immobilier logistique se tourne vers l'avenir

Publié le 4 février 2019

Après une année 2017 record, l’immobilier logistique en France affiche en 2018 des résultats moins spectaculaires, mais toujours portés par une dynamique forte. Avec l’essor du e-commerce et une grande distribution en pleine réorganisation, le secteur attire de nouveaux investisseurs. Cette embellie pourrait cependant être contrariée par un manque crucial de foncier, principalement aux abords desagglomérations. Mais constructeurs et développeurs n’ont pas dit leur dernier mot et réinventent d’anciennes friches industrielles pour en faire des espaces logistiques adaptés à la logistique de demain…

1. Sites logistiques : un nouveau regard et de nouveaux besoins

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Développeurs, investisseurs, constructeurs… Tous les acteurs de l’immobilier logistique parlent d’une seule et même voix quand ils évoquent la santé actuelle de leur secteur : une conjoncture économique favorable et un besoin constant de surfaces logistiques portent aujourd’hui le marché, lui permettant d’afficher une progression constante.

On aurait tôt fait de craindre un repli de l’activité de l’immobilier logistique à la lecture des chiffres de 2018. Avec une baisse de 25 % de la demande placée par rapport à 2017, et seulement 1,85 million de m² commercialisés en France sur les neuf derniers mois, on est loin des 3,3 millions de 2017. Mais ces résultats font plutôt état d’un retour à la normale après une année 2017 ayant battu tous les records. « 2017 avait été marquée par le développement de nombreux entrepôts XXL, pour des acteurs du e-commerce et de la grande distribution, qui ont fortement augmenté les chiffres du côté des surfaces », explique Didier Terrier, directeur général d’Arthur Loyd Logistique, spécialiste du conseil en immobilier logistique. Un analyse partagée par Laurent Sabatucci, directeur associé de EOL, entreprise de conseil en immobilier industriel, logistique et commercial : « Les chiffres comparés sont trompeurs. Si la demande placée sur les trois premiers trimestres de 2018 est certes loin d’atteindre les volumes de 2017, ce ralentissement s'explique principalement par le fait que les prochaines grandes constructions XXL sortiront surtout de terre en 2019. C’est une simple question de décalage ». Le directeur associé invite plutôt à se pencher sur le marché de l’existant, plus actif que l’an passé : « Il se loue et vend davantage de bâtiments existants en 2018 qu’en 2017, avec déjà 1 million de m² placés sur ce segment de janvier à octobre. Nous dépasserons donc les 1,2 million de m² atteints en 2017 d’ici la fin de l’année. C’est une preuve de la bonne santé du secteur, avec une diminution des bâtiments vides ». D’autant que le ralentissement perçu après un milieu d’année assez calme a été contrebalancé par un troisième trimestre 2018 dynamique, avec près de 836 000 m² commercialisés. « En fin de compte, nous atteindrons des résultats dans la continuité de ceux de 2016 », estime Didier Terrier.

 

Grande distribution et e-commerce donnent le tempo

Après des temps difficiles au début des années 2010, voilà maintenant près de cinq ans que le marché de l’immobilier logistique se développe sereinement, porté par plusieurs mouvements de fond. Tout d’abord, la réorganisation logistique profonde opérée par les enseignes de grande distribution. « En entreprenant des refontes globales de leurs supply chains, par le regroupement d’activités sur des sites uniques beaucoup plus grands, les entreprises de la grande distribution ont donné une impulsion qui a permis au marché tout entier de repartir. Malgré un tassement en 2018, beaucoup de projets sont encore en préparation », estime Damien Vernier, directeur commercial pour le constructeur GSEDes nouveaux sites XXL capables d’adresser une augmentation des formats de distribution et des gammes de produits, ainsi qu’une activité de vente en ligne de plus en plus plébiscitée par les consommateurs. Les pure players du e-commerce sont d’ailleurs les autres moteurs du secteur, cherchant à répondre à leurs besoins croissants de surfaces logistiques en se tournantvers de nouvelles typologies d’actifs. « Ces clients ont besoin de bâtiments différents, qui n’existaient pas forcément sur le marché. Cela va du site grand format capable d’accueillir des innovations de mécanisation à des surfaces plus réduites pour de la logistique urbaine. Notre collaboration avec Amazon nous a amenés à développer une plateforme de 107 000 m² à Amiens (80) il y a deux ans tout comme une agence régionale de 6 000 m² à Saint-Priest (69) en début d’année », explique Benoit Chappey, directeur développement France chez Goodman.

 

Le point commun entre ces deux types d’utilisateurs : un besoin de bâtiments qui n’existent tout simplement pas sur le marché. « Certains veulent des surfaces étendues, d’autres ont besoin de grande hauteur ou de mezzanines pour accueillir l’ensemble de leurs process. Ce sont de nouveaux besoins qui nécessitent des développements inédits », estime Benoit Chappey. « Les bâtiments se complexifient. L’entrepôt est désormais un outil de production qui se doit d’être efficace et technologique. Cela nécessite donc l’implication des constructeurs comme GSE le plus en amont possible, afin de mouler le bâtiment autour de ses process », explique Damien Vernier. Un défi pour le constructeur, qui développe actuellement près de 800 000 m² sur le territoire français. Même constat du côté d’Idec : « Aujourd’hui, la logistique représente à peu près 60 % du volume d’activité de notre groupe. Ce chiffre a augmenté de 20 à 30 % ces dernières années, porté par la taille croissante du volume des opérations sur ce marché », précise Tony Morais, directeur général du constructeur. L’entreprise réalise d’ailleurs actuellement le plus grand projet logistique de France : 177 500 m² aux côtés d’Argan et Gazeley pour le compte de Conforama, dont la première tranche a été livrée fin septembre 2018 à Tournan-en-Brie (77).

 

Des mouvements sur l’existant

Si cette grande vague de construction trouve son origine dans des besoins nouveaux, elle s’explique aussi par un phénomène global de vieillissement et d’obsolescence de l’offre déjà présente sur le marché. Et tandis que 82 % des volumes réalisés aujourd’hui sont pour des entrepôts de classe A, certains promoteurs tentent de faire évoluer leurs sites existants pour les mettre au niveau des attentes du marché. Chez le promoteur Prologis, cette réalité s’est traduite par un mouvement double de construction de nouveaux bâtiments et de montée en gamme du patrimoine existant : « Nous avons mené des programmes de travaux significatifs sur nos sites portant sur la consommation d’énergie, l’éclairage ou encore l’isolation, de manière à offrir des produits en adéquation parfaite avec les besoins des clients. Pour cela, nous nous appuyons sur les nouveaux bâtiments que nous développons : quand une solution fonctionne sur un projet neuf, nous regardons dans quelle mesure celle-ci peut être déployée sur le reste de notre patrimoine. Notre statut de promoteur et d'investisseur, avec des équipes de développement et de projets en dialogue permanent, nous permet de tirer cette force de concertation », détaille Cécile Tricault, directrice générale France. D’autres, comme Goodman, visent plutôt la revente de leurs actifs. « Nous avons récemment cédé un portefeuille paneuropéen de 24 bâtiments, comprenant des sites en France, en Allemagne et en Pologne. Notre stratégie : bénéficier du dynamisme du marché de l’investissement pour arbitrer certains actifs devenus moins stratégiques afin de proposer un patrimoine d’actifs de qualité, bien situés », explique Benoit Chappey.

 

Mais ces bâtiments plus anciens font tout de même le bonheur d’utilisateurs aux besoins moins importants. « Il y aura toujours des clients dont les besoins de stockage ne nécessitent pas forcement une grande innovation technologique », juge Alexandre Fraigneau, directeur industriel et logistique chez Colliers International, spécialiste du conseil en immobilier. Des actifs proposant des surfaces plus classiques, pour des opérations moins soumises aux besoins de l’immédiateté. « Les bâtiments libérés récemment, notamment par les acteurs de la grande distribution, restent rarement vacants et sont investis rapidement par d’autres types d’acteurs : prestataires logistiques, retailers aux volumes plus faibles, entreprises souhaitant étendre leur réseau », estime Benoit Chappey pour Goodman. « De 2000 à 2007, il s’est construit beaucoup d’entrepôts compris entre 20 000 à 30 000 m², car c’était la taille standard à l’époque. Beaucoup moins de bâtiments de ce type se sont développés par la suite. Quand un grand retailer quitte un de ces sites, cela provoque un retour sur le marché d’une offre plus rare qui trouve rapidement preneur, principalement du côté des prestataires », analyse Didier Terrier. Des prestataires logistiques qui se montrent également très actifs, après plusieurs années en demi-teinte. « Ils représentent environ 48 % du marché en 2018. Capables de répondre à une certaine incertitude face à l’évolution des métiers, des process et des besoins de la logistique, les prestataires constituent une excellente solution pour les distributeurs qui peuvent tester avec eux des nouveaux modèles. On voit donc des logisticiens louer à nouveau beaucoup de surfaces aux e-commerçants ou aux distributeurs », analyse Laurent Sabatucci de EOL. Avis partagé par Cécile Tricault pour Prologis : « Les prestataires sont très dynamiques sur le marché, avec des vrais besoins de bâtiments flexibles et aux dernières normes ».

 

De nouveaux territoires à conquérir

Difficile de contester l’importance prégnante de la fameuse dorsale, traversant le territoire français de Lille à Lyon en passant par Paris, sur le monde de la logistique. Au troisième trimestre 2018, celle-ci capte encore 66 % de la demande placée – dont 40 % rien que pour l’Île-de-France – et reste le focus de nombreux acteurs de l’immobilier. « La dorsale est toujours une priorité chez Goodman. Sur l’ensemble des 200 000 m² actuellement en développement, 75 % se situent le long de cet axe », précise Benoit Chappey. Une stratégie que l’on retrouve chez le développeur Segro comme l’explique Marco Simonetti, directeur général Europe du Sud : « Nous nous concentrons sur la dorsale élargie. En dehors de Paris et Lyon, nous portons un véritable intérêt à la zone de Marseille, où le manque d’offres nous semble être une vraie opportunité de développement, pour des profils d’utilisateurs parfois un peu différents et liés aux activités portuaires ». Pour autant, certains marchés secondaires attirent aujourd’hui de plus en plus l’attention du secteur. « Les pays de la Loire et la région bordelaise affichent un beau dynamisme. Une offre immobilière s’y est mise en place pour des besoins principalement locaux, comme de la distribution régionale », analyse Didier Terrier. « Angers et Orléans sont parmi les zones les plus actives en dehors de la dorsale. Angers est une bonne desserte pour des chargeurs et logisticiens souhaitant adresser des besoins dans l’Ouest du pays. On voit qu’Action s’y déploie ainsi que Leroy Merlin », constate Laurent Sabatucci.

 

De quoi donner des idées aux acteurs de l’immobilier logistique. « Il faut être ouvert. Chez Gazeley, nous regardons les marchés prime régionaux en dehors de la dorsale, aussi bien dans les zones portuaires telles que Le Havre ou Rouen, que dans le Sud-Ouest autour de Toulouse ou Bordeaux. On remarque un vrai dynamisme dans ces zones, avec des demandes significatives pour des bâtiments clé-en-main qui n’existent pas forcément. Il y a donc de quoi s’y positionner, face à aux marchés parfois assez contraints de la dorsale », détaille Fabrice Cervoni, vice-président et directeur général Europe du Sud de Gazeley. Même son de cloche du côté d’Idec. « Nous avons eu récemment des opérations sur le Sud-Ouest, pour des sociétés comme Corep ou Transgourmet, et d’autres projets sont à l’étude pour cette zone. Nous travaillons aussi étroitement avec un client sur un projet en Normandie, près du port du Havre », explique Tony Morais. Une zone portuaire sur laquelle s’est positionné Concerto depuis plusieurs années, à Honfleur, comme l’explique son directeur général Jean-Paul Rival : « Je suis convaincu qu’il y aura un jour un hinterland autour du port du Havre, de la même manière qu’en Belgique ou aux Pays-Bas. Le potentiel est là, d’autant plus face à la saturation qui touche ces ports du nord de l’Europe. Nous croyons beaucoup aux projets que nous développons dans cette zone ». La filiale de Kaufman & Broad travaille également sur des sites pour Easydis (filiale logistique du groupe Casino) entre Toulouse et Montauban ainsi que pour le groupe Lapeyre au sud d’Orléans.

 

Les investisseurs sont là

Autre signe de bonne santé du secteur : le retour des investisseurs vers la logistique depuis maintenant trois ans. Une étude récente montrait ainsi que les entrepôts étaient désormais les biens d’immobilier professionnel les plus recherchés en Europe, devant les commerces et les bureaux. Une tendance révélée également par le montant des investissements en immobilier logistique en France sur les trois premiers trimestres de 2018, avec un total de 1,8 milliard d’euros investis, selon Arthur Loyd Logistique. « Nous sommes face à un marché en pleine mutation, qui provoque un attrait manifeste de la part des investisseurs », estime Jonathan Sebbane, directeur général de Sogaris. « La lecture macro-économique qu’ils font du secteur à l’heure du e-commerce les amène à se placer sur de nombreux projets ». Stable, rassurant, au service de grands acteurs en demande de solutions et souvent moins compétitif que le bureau ou l’habitation, le marché de l’immobilier logistique attire ainsi des acteurs généralistes qui cherchent à accroitre l’allocation logistique de leur portefeuille. « Les entrepôts sont des actifs faciles à gérer dans le temps, avec souvent un locataire unique, permettant des frais de gestion réduits et une rentabilité élevée », juge Jean-Paul Rival de Concerto. « De plus, la durée de lancement d’un dossier est toujours la même, que ce soit pour des projets de 10 000 ou de 100 000 m² : c’est l’une des raisons pour laquelle ces investisseurs n’hésitent pas à se positionner sur des projets plus grands ».

 

Une attractivité forte du secteur qui impacte les taux de rendements des entrepôts, en fort recul, et dont la moyenne européenne est passée sous la barre des 6 %. « Historiquement, les écarts étaient considérables entre le rendement d’un entrepôt et celui d’un immeuble de bureau. Mais aujourd’hui, le taux de certains bâtiments prime est passé sous la barre des 4,5 % le long de la dorsale en France. Face aux taux des bureaux qui peuvent tomber à 3 %, l’écart n’est donc plus si grand. Mais malgré cette baisse, je reste convaincu que l’investissement logistique est plus intéressant que celui des bureaux ou du retail, actuellement en souffrance. La valorisation de la fonction logistique rend l’immobilier véritablement structurel et les investisseurs généralistes l’ont bien compris », juge Fabrice Cervoni pour Gazeley. Une confiance qui s’exprime également par le retour des développements de projets en blanc. « Ces projets représentent 15 à 20 % des réalisations actuelles. Il y a quelques années, les investisseurs craignaient de ne pas pouvoir placer des bâtiments en blanc, mais la demande est telle aujourd’hui que ces sites trouvent parfois preneurs en amont de la livraison », explique Damien Vernier pour GSE.

 

Une appétence du marché pour des sites logistiques neufs qui pousse les investisseurs à se positionner sur des projets d’innovation qui n’auraient pas été envisageables par le passé analyse Jean-Paul Rival : « Pendant longtemps, l’automatisation faisait fuir les investisseurs qui craignaient de construire des sites à usage unique. Mais aujourd’hui, le développement de solutions plus flexibles permet d’envisager des bâtiments très équipés capables d’accueillir des marchandises de différentes natures et d’être requalifiés. C’est notre rôle chez Concerto que de créer ce pont entre le monde de l’exploitant, désirant un bâtiment adapté à son process, et le monde de l’investisseur, à la recherche d'un site suffisamment banalisé pour ne pas avoir l’impression qu’il ne pourrait pas intéresser d’autres locataires. » Avec tous ces indicateurs au vert, les acteurs de l’immobilier logistique affichent donc un bel optimisme sur les années à venir. « Nous sommes très confiants sur les perspectives du marché. Les entrepôts sont pourvoyeurs d’emplois non délocalisables et la hausse des volumes à livrer nécessite une adaptation des schémas logistique », estime Tony Morais pour Idec. Et si les professionnels n’excluent pas un tassement dans les années à venir (« On ne fera pas de la très grande logistique pendant 20 ans car tous les acteurs ne sont pas des Amazon ou des Auchan », résume Jean-Paul Rival) ou les conséquences d'éventuels soubresauts de l’économie, tous s’accordent sur le potentiel encore à développer pour le secteur. « Il y a quarante ans, on construisait des centres commerciaux. Aujourd’hui, nous sommes dans une nouvelle évolution liée au commerce en ligne dont nous n’avons pas encore mesuré totalement les conséquences. Mais c’est l’occasion rêvée pour faire évoluer les pratiques des professionnels et repenser le secteur avec de nouveaux points d’accroches immobiliers », juge Jonathan Sebbane. Reste cependant un point de tension qui pourrait mettre à mal cette dynamique : le manque de foncier…

Focus

Lidl poursuit sa refonte logistique en France

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Dans la lignée des réorganisations logistiques menées par la grande distribution, Lidl a lancé en 2014 un grand programme de rénovation de son parc logistique, sur un ensemble de 25 sites à travers la France. « Dans le cadre de cette refonte, nous avons deux cas de figures : soit des transferts vers des nouvelles plateformes, soit des extensions et des modernisations là où nous n’avions pas de réserves foncières adaptées. D'ici le début de l'année 2019, la moitié de nos bâtiments auront été rénovés ou transférés », détaille Vianney Puga, directeur logistique de Lidl France. L’occasion pour Lidl de réinternaliser certaines activités jusqu’ici prestées, comme à Montchanin (71) où l’enseigne a ouvert en septembre 2018 sa plus grande plateforme de l’Hexagone. D’une surface de 58 775 m², celle-ci pourra accueillir et traiter l’ensemble des produits surgelés de la marque. Après l’ouverture de nouveaux bâtiments à Lille (59), Metz (57), Marseille (13), Rouen (76) et Toulouse (31), l’entreprise poursuivra ses efforts en 2019 du côté de Bordeaux (33). Grande constante de ce programme de refonte logistique : la volonté de Lidl de rester absolument maître de ses bâtiments. À Montchanin, Lidl est ainsi propriétaire du terrain, du bâtiment et de l’ensemble de ses équipements. Coût total : pas moins de 50 millions d’euros d’investissements.

 

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