Prestataires
Entretien exclusif avec Philippe Tellier, directeur général de GT Logistics
Spécialiste des prestations logistiques dédiées sur site client, GT Logistics poursuit un développement volontairement « raisonnable et raisonné », pour reprendre les adjectifs formulés par son directeur général. Philippe Tellier, nommé à cette fonction début 2025 après 20 ans de carrière au sein de l’entreprise familiale, nous partage sa vision du marché, ses ambitions et son désir de renforcer l’inclusion via une évolution des mentalités.
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Philippe Labeguerie
Pourriez-vous nous rappeler le contexte de votre nomination, au début de l’année 2025, à la direction générale de GT Logistics ?
Eric Sarrat, l’homme qui nous avait tous formés et accompagnés avec beaucoup d’autonomie, s’est éteint le 18 mars 2024. S’ensuivit une année de transition et de réflexion. Après deux décennies passées au sein de GT Logistics et un parcours axé sur l’opérationnel et le développement, j’ai été appelé à la direction générale de l’entreprise. Lors de différents échanges et du cheminement dans ma réflexion, je me suis posé les questions essentielles : Suis-je légitime et ai-je la confiance des équipes et des clients ? Suis-je en capacité de continuer à transformer l’entreprise ? Ce n’est qu’après y avoir répondu favorablement que j’ai écouté mon envie et décidé de m’engager dans ces nouvelles missions, avec la conviction suivante, chevillée au corps : rester fidèle aux racines du groupe familial GT, en étant libre de construire les prochaines étapes. Afin d’acquérir et de rechallenger l’ensemble des outils de pilotage stratégique nécessaires à mes nouvelles fonctions, je poursuis depuis un an une formation visant à obtenir un Executive MBA de dirigeant d’entreprise, au Centre de perfectionnement aux affaires (CPA).
Comment se porte actuellement GT Logistics, à la suite d’une année 2024 marquée par un chiffre d’affaires en recul de 10 millions d’euros ?
Bien que nous ne soyons plus sur des dynamiques de forte croissance, nous bénéficions d’une taille crédible en tant qu’ETI, avec un chiffre d’affaires oscillant autour de 100 millions d’euros en fonction des années. Nous avons connu des progressions extraordinaires en 2022 et 2023 ; nous visons désormais des performances plus douces. En 2023, nous avons entre autres remporté un important appel d'offres auprès des Ateliers Industriels de l'Aéronautique (AIA), avec 250 personnes reprises. Cette intégration a constitué une étape importante et structurante pour notre entreprise. Forts d’autres contrats majeurs signés sur le long terme, nous sommes ainsi actuellement en train de nous stabiliser. Nous travaillons beaucoup avec le groupe Safran, partenaire avec lequel nous avons renouvelé trois contrats ces douze derniers mois, et implémenté deux autres pour les filiales Power Units et Electronics & Defense. Sur la fin 2025, nous œuvrons à la conquête d’un magnifique partenariat stratégique multisites avec une grande entreprise française. Cela permettrait de lancer la dynamique 2026 et d’alimenter notre cap stratégique 2030. Visant une croissance raisonnable et raisonnée, ce dernier nous permettra d’atteindre 120 millions d’euros de chiffre d’affaires dans cinq ans. Et ce en dépit d’un contexte économique et industriel difficile, imposant prudence et vigilance.
Quels secteurs d’activités tirent votre développement actuellement ?
Nous sommes bien évidemment très présents dans l'aéronautique, la défense et le nucléaire, qui représentent à eux trois 46 % du chiffre d'affaires de GT Logistics. Loin d’un effet d’aubaine lié au climat géopolitique et au renforcement des budgets dédiés à l’armement, nous avons historiquement ciblé ces différents marchés. Nous poursuivons par exemple un contrat de 25 ans avec Ratier, devenu depuis Collins Aerospace. Nous avons ensemble progressé année après année, dans des contextes on ne peut plus divers et des environnements qui nous ont motivés à s’adapter ensemble, face aux défis des montées de cadence et d’une supply mondiale très perturbée. Nous sommes aussi paradoxalement actifs dans l’industrie automobile, car nous exerçons sur des métiers de niche, dans le sport automobile et les pièces de rechange tout particulièrement. Il se vend certes moins de voitures, mais même si le report n’est pas immédiat sur les sujets de maintenance et de réparation, il existe bien. Nous attendons avec intérêt de voir le cap que souhaite suivre la nouvelle direction de Stellantis [constructeur pour lequel GT Logistics réalise des prestations in situ sur plusieurs sites en France, ndlr], après le départ de Carlos Tavares. En notre qualité d’ETI patrimoniale française, nous asseyons nos positions et avons la chance de ne pas subir certaines affres du secteur. Enfin, pour donner un autre exemple de verticale sur laquelle nous ne sommes pas toujours mis en exergue, nous performons également dans la chimie, avec notamment le groupe Arkema, un partenaire de long terme ne cessant de se transformer et d’évoluer. Nous venons par ailleurs de fêter nos dix années de collaboration, sans arrêt de travail et sans aucun accident.
Quelles industries rêveriez-vous d’adresser ?
Le ferroviaire et surtout le chantier naval. Le fondateur de la Compagnie Générale de Traction – dont a découlé bien plus tard GT Logistics, au sein d’une aventure entrepreneuriale riche de près de 120 ans –, Gaston Trochery, avait créé un chantier naval. Rien que pour le clin d’œil, j’adorerais nous y voir. Nous avons raté récemment un appel d’offres pour les Chantiers de l’Atlantique, mais rien ne nous dit que nous ne trouverons pas à l’avenir notre place dans ce secteur.
Les métiers de la logistique peuvent souffrir d’un déficit d’attractivité, contribuant à une conséquente pénurie de main-d'œuvre. Arrivez-vous à recruter de jeunes profils, mais aussi à favoriser le maintien en emploi des personnes qualifiées en France comme « seniors » ?
GT Logistics est calibrée de sorte à pouvoir donner sa chance à tout un chacun, et ce même sans aucune formation. Nous avons l’agilité de découper nos processus afin d’être en mesure d'intégrer des personnes éloignées de l'emploi depuis un moment, ou même de les accueillir pour un premier job. L'entreprise reste avant tout un terrain d'aventures. Sur l’ensemble de nos contrats, notre ancienneté moyenne est plutôt longue, avec assez peu de turnover opérationnel. Nous favorisons aussi bien l’entrée de jeunes que l’évolution ou l’intégration de personnes disposant d’une longue ancienneté et de nombreuses expériences. Il est un peu dur de considérer quelqu’un ayant 45 ans ou plus comme un « senior », mais c’est ainsi que sont catégorisés les actifs. Nos collaborateurs atteignant les 60 ans voire plus ont souvent commencé tôt, à la GT ou ailleurs, via des carrières longues et avec des métiers manuels. N’existaient alors pas d’exosquelettes, ni de chariots aux cabines confortables, à faibles vibrations. Notre enjeu consiste ainsi à les accompagner jusqu’à la retraite sans les abîmer, en leur proposant des environnements adaptés, ainsi que des solutions techniques facilitant leur quotidien. L’un des volets de notre ambition à 2030, précédemment citée, consiste justement à évoluer vers des standards d’avenir, en poursuivant nos investissements dans des équipements et postes ergonomiques, et en améliorant en continu la qualité de vie au travail. Pour conclure, j’aimerais souligner le côté abscons voire ridicule qu’il y a, dans le monde du travail ou de la politique, à seulement s’inscrire dans des « quotas », que ce soit pour l’âge, le sexe et le handicap. Le plus important reste la compétence ainsi que l’adéquation entre une personne, ses besoins et ceux de l’entreprise. De même que la pertinence du poste. Il vaudrait mieux prendre le sujet de l'inclusion à bras le corps et dans le bon sens, plutôt que de seulement vouloir respecter des pourcentages minimaux. Pour faire réellement bouger les lignes, il faut faire évoluer les mentalités, conscientiser le management et indiquer clairement qu'il y a de la place pour tout le monde dans notre entreprise. Il faut que nous soyons des exemples pour d'autres : confrères, concurrents et même industriels.