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Emploi/RH

Supply chain : un secteur qui cherche toujours plus de talents

Publié le 14 avril 2022
SOMMAIRE

Affichant une croissance forte boostée par l’e-commerce et la crise sanitaire, le développement des acteurs du transport et de la logistique se heurte à des difficultés pour recruter, à tous les niveaux des entreprises. Mais si les idées reçues ont la vie dure, le boom du commerce en ligne et la crise sanitaire ont su initier un changement dans le regard du public sur les métiers de la supply chain.

Impossible de nier l’importance de l’activité transport et logistique au sein de l’économie française. Réunissant près d’1,8 million de salariés et 150 000 entreprises, la filière compte pour 10 % du PIB du pays et 10 % de l’emploi salarié en France. Dans l’Hexagone, c’est 78 millions de mètres carrés d’entrepôts qui tissent un large réseau, connecté quotidiennement par une flotte globale de 600 000 camions sur les routes ainsi que par les réseaux ferroviaires et fluviaux selon l’association France Logistique. Des chiffres qui ont connu une progression spectaculaire ces dernières années, boostés par la montée en puissance du e-commerce et par une crise sanitaire qui a fait de la supply chain un élément stratégique pour les entreprises. « C’est l’e-commerce qui tire une partie de la croissance logistique aujourd’hui. Cette progression importante est une bonne nouvelle car la France avait un volume d’activité logistique en deçà de ce à quoi elle pouvait prétendre eu égard à sa consommation. Il y a donc un fort potentiel de développement », note Loïc Charbonnier, président délégué général de l’Aftral, principal acteur de la formation transport-logistique en France.

 

Pourtant, une ombre vient noircir ce tableau : celui du recrutement et des effectifs. « Nous sommes face à une augmentation très importante de l’activité dans notre branche professionnelle, et on ne peut que s’en réjouir. Mais nous avons également un problème réel et structurel d’effectifs et de recrutements », juge Valérie Dequen, déléguée générale de l’AFT, l’association pour le développement de la formation professionnelle dans les transports et la logistique. Car même si l’automatisation se développe dans les entrepôts, le besoin est toujours crucial sur le terrain de s’appuyer sur des opérateurs, des gestionnaires d’encadrement ou de projets, des conducteurs. Et ce sont tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement qui connaissent aujourd’hui des difficultés à attirer des talents.

 

Des pénuries et une pyramide des âges déséquilibrée

Du côté du transport, la FNTR tirait la sonnette d’alarme en septembre dernier, soulignant que le secteur manquait de 40 000 à 50 000 chauffeurs, deux fois plus qu’en 2017, tandis qu’une étude récente de l’Insee affirmait que 53 % des transporteurs rencontraient des difficultés à recruter. « Force est de constater que de nombreuses entreprises subissent ces problématiques, tant en conduite qu’en manutention ou dans les métiers de maintenance ou d’ingénierie. Cela nuit à la relance économique avec une offre logistique qui peut peiner à répondre à la demande. Il convient toutefois de relativiser la situation, la France est par exemple loin des difficultés rencontrées en Grande-Bretagne », résume Constance Maréchal-Dereu, directrice générale de l’association France Logistique, évoquant les 100 000 postes à pourvoir dans le transport outre-Manche.

 

Une autre réalité menace également l’activité des supply chains françaises : le vieillissement de ses salariés, avec des pyramides des âges particulièrement défavorables dans le monde du transport où plus de 42 % des personnes ont plus de 50 ans. L’âge moyen y est pratiquement de 45 ans révélait l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications dans les transports et la logistique (OPTL) dans son bilan 2021. Le taux de relève, calculé par le rapport entre les salariés de moins de 30 ans et ceux de plus de 50 ans, est de 0,3 dans la branche transport contre 0,84 dans l’ensemble de l’économie. « Dans les dix années à venir, ce sont 300 000 salariés pour toute la branche du transport en France qui vont partir à la retraite. Cela va donc nécessiter un besoin très fort de main-d’oeuvre », raconte Valérie Dequen. Les tensions touchent tous les métiers, d’un bout à l’autre de la supply chain : « Sur les postes sans qualification, on constate des tensions nouvelles. Des entreprises peinent à trouver des préparateurs de commandes ou des caristes pour leurs entrepôts, ce qui n’était pas le cas il y a trois ans. Et cela même sur des territoires où les offres d’emplois peuvent être rares. Il y a donc urgence à mobiliser ces publics qui ne vont pas forcément vers notre secteur », note Pierre de Surone, directeur exécutif chez Promotrans, acteur spécialiste de la formation en transport et logistique.

 

Des recrutements qui restent à la hausse

Pourtant, malgré les manques, le secteur ne faiblit pas sur le front des recrutements, avec un rythme de 30 000 créations de postes annuelles, très majoritairement des emplois pérennes puisque 95 % sont des CDI et temps pleins. « Si on regarde les effectifs de la branche transport de 1998 à 2019, nous sommes passés de 480 000 à 755 000 salariés, dont plus de 400 000 dans les TRM. C’est une augmentation incroyable », note Valérie Dequen. Les effectifs dans le TRM ont ainsi progressé de 4 % entre 2019 et 2020. « Effectivement, le constat n’est pas si sombre : les effectifs en logistique augmentent chaque année, et ces problématiques de recrutement témoignent aussi de la croissance de l’activité de nos entreprises. La situation pourrait donc être pire, et nous arrivons tout de même à mettre en place de nombreuses solutions. Le point positif, c’est que le transport et la logistique sont clairement identifiés comme des secteurs qui recrutent », juge de son côté Loïc Charbonnier. Dans son bilan 2021, le cabinet de recrutement Fed Supply notait cette tendance, avec une progression des contrats en CDI et CDD, en hausse de 1 %. « Au cours de l’année 2021, les créations de postes se sont poursuivies dans les métiers de la supply chain. Elles ont très certainement été portées par le boom du e-commerce en lien avec les restrictions de circulation de la population », analyse Romain Devrièse, directeur associé de Fed Supply.

 

À ce titre, le début d’année à d’ailleurs été riche d’annonces de la part d’acteurs divers du secteur : l’éditeur Hardis Group prévoit ainsi de recruter 340 nouveaux collaborateurs en 2022, dont la moitié sur ses bureaux de Grenoble, pour des fonctions d’ingénieurs, consultants ou spécialistes de la cybersécurité. Chez les logisticiens, ID Logistics communiquait début février sur l’embauche de 1 000 nouveaux collaborateurs en 2022, dont 200 alternants, un chiffre constant par rapport à 2021 où 947 employés avaient rejoint les rangs de l’entreprise. Là encore, la diversité des tâches est remarquable, allant du préparateur de commandes aux ingénieurs méthodes, du manager à l’informaticien en passant par les conducteurs et les experts des nouvelles technologies – IA, automatisation, Big Data.

 

Des idées reçues remises en question par la crise sanitaire

Quand il s’agit d’analyser les raisons de ce manque de talents dans le monde de la supply chain, les idées reçues reviennent hanter le discours des professionnels. Une image auprès du grand public qui repose principalement sur des externalités négatives, plutôt que sur son utilité économique et sociale. « Malgré tous nos efforts, que ce soit à l’AFT mais aussi au sein des entreprises et des fédérations patronales, il y a toujours une méconnaissance de notre secteur d’activité auprès du grand public » constate Valérie Dequen. Les choses ont cependant évolué vers le mieux grâce au coup de projecteur donné par la crise sanitaire, qui a pu montrer l’efficacité et l’agilité de la filière, et son caractère essentiel dans la vie quotidienne du pays : approvisionnements alimentaires, produits de santé, fonctionnement des usines et des chantiers… « La crise sanitaire a aidé à dépasser cette image faussée, d’un secteur entièrement fait de postes manuels, peu qualifiés, masculins, pour plutôt souligner sa diversité et son rôle de véritable colonne vertébrale dans l’économie du pays », note Guillaume Noirtin, directeur talent acquisition chez FM Logistic et membre du Lab RH au sein de France Supply Chain. Ces salariés de la logistique et du transport comptaient parmi les opérateurs de la « deuxième ligne » et leur mobilisation a été applaudie par les pouvoirs publics. Et avec les problématiques encore récentes au niveau de l’approvisionnement, la supply chain affirme sa place au coeur de la société. « Cela ne règle pas toutes nos problématiques de visibilité, mais crée une dynamique que nous souhaitons accompagner au sein de l’Aftral, et auprès des chargeurs, pour qu’ils identifient de manière plus nette le rôle majeur de la logistique dans leur fonctionnement », note de son côté Loïc Charbonnier.

 

Une logistique omniprésente, utile dans tous les domaines, qui participe également au rayonnement de l’économie de la France à travers l’Europe et le monde. « La logistique est stratégique quand on pense à la (re) localisation de l’industrie, à la capacité de nos entreprises à exporter, à l’accompagnement des commerces face aux nouvelles attentes des consommateurs, à la résilience et à la souveraineté économique de nos territoires », souligne Constance Maréchal-Dereu. Mais ce changement de regard doit également concerner le monde politique pour Nancy Noël, directrice aux affaires sociales pour Union TLF : « Nous invitons les élus à venir voir nos sites, à rencontrer nos salariés, afin qu’ils constatent à quel point ils peuvent s’épanouir dans leurs postes. Nos équipes répondent présentes et l’ont fait pendant toute la crise, où l’absentéisme a été très limité. Nous ne sommes pas ce secteur polluant et vecteur d’artificialisation que beaucoup imaginent ! »

 

Éclairer les réalités du métier

Comment faire alors pour capitaliser sur ce coup de projecteur temporaire que ces deux dernières années ont placé sur la supply chain ? Dans ce contexte, les acteurs du secteur et leurs organisations professionnelles veulent s’engager à bras-le-corps pour changer l’image de la filière. C’était d’ailleurs l’une des 12 propositions de France Logistique auprès des candidats à l’élection présidentielle, présentées en février dernier : « Nous proposons de mettre en place une campagne de communication auprès du grand public – portée et relayée par les pouvoirs publics – sur l’évolution du secteur, la modernisation et l’innovation des entreprises de transport et logistique, les possibilités de débouchés et de carrière. Une action spécifique dans l’enseignement secondaire, auprès des élèves et enseignants, serait aussi utile », détaille Constance Maréchal-Dereu. En plus de la communication générale, France Logistique souligne également la nécessité de s’adresser aux écoles de management et aux ingénieurs, pour créer des partenariats avec les acteurs privés, afin que « la France reste à la pointe des pays européens en matière d’innovation logistique ».

 

Car pour donner envie d’aller vers ces métiers, encore faudraitil que le grand public sache à quoi ils ressemblent. Or, leurs représentations sont rares dans la vie quotidienne. « Nos métiers restent compliqués à expliquer, surtout face à des gens qui n’ont pas d’expérience professionnelle. Cette méconnaissance est un frein, et il est difficile d’imaginer un enfant dire qu’il voudrait devenir supply chain manager. Ce sont des métiers qu’il faut apprendre à connaître, et vers lesquels on arrive encore souvent par hasard, par des ren contres et des opportunités », regrette Marie-Laure Furgala, directrice de I’Isli (master en global supply chain de Kedge Business School). Cette difficulté à attirer des profils est d’autant plus dommageable qu’une fois intégrés de manière durable dans le secteur, ses salariés y restent. « Il faut faire venir des publics pas forcément ciblés supply chain, tels que des ingénieurs, des commerciaux ou des personnes dans la finance. Personnellement, je viens du monde du conseil et je ne connaissais pas la supply chain pendant mes études ! », raconte Guillaume Noirtin.

 

Une communication sectorielle à développer

Cette sensibilisation passe donc par plus de présence sur les réseaux sociaux, des achats de mots-clés en ligne ou des campagnes ciblées, en insistant sur les caractéristiques les plus innovantes et vertueuses du secteur. « Il faut sortir de l’image du camion et du transpalette. Quand nous organisons des journées de découverte des métiers après des jeunes publics, nous essayons de décrire le monde du transport de façon ludique avec des applications digitales, en partant de la question de l’approvisionnement : comment un produit est arrivé jusqu’à vous ? », explique Olivier Weitig, président de l’AETL (Association des acteurs, élèves et étudiants du transport et de la logistique). Un angle qui est aussi mis en avant chez Promotrans : « Il est nécessaire de surfer sur l’aura du e-commerce, même si ce n’est qu’une partie de l’activité du secteur, car elle éclaire les conséquences de nos habitudes de consommation, note Pierre de Surone, de Promotrans. Quand on échange avec des jeunes publics, et qu’on leur demande d’imaginer une chaîne logistique, ils ne savent pas comment tout cela fonctionne ! Il est de notre responsabilité de montrer que, derrière cette livraison, il y a une chaîne incroyable qui s’organise pour qu’un colis arrive dans leur boite à lettres en 24 heures. Ces efforts de pédagogies doivent intervenir avant même de faire la promotion de notre secteur d’activité, car en faisant comprendre les impacts de la moindre commande en ligne, on peut évoquer de nombreux métiers ».

 

Dans ce sens, tout l’écosystème supply chain multiplie les opérations pour rendre le métier plus limpide, avec des vidéos d’explications rapides et claires sur toutes les facettes du métier, diffusées sur les réseaux. « La supply chain doit apprendre à se vendre, à gérer son image auprès des médias, et faire entendre sa voix. Il faut trouver des gens passionnés qui puissent exprimer ce qu’ils aiment dans ce métier : sa diversité, sa richesse, son management des imprévus, sa capacité à être utile à la société », détaille Marie-Laure Furgala. Des efforts qui passent aussi par des journées portes ouvertes dans les entreprises, afin de démystifier les activités cachées derrière les façades des entrepôts. Dans ce sens, l’opération Let’s Go, organisée par Bretagne Supply Chain et l’AFT, propose chaque année pendant 15 jours au mois de février d’ouvrir les portes d’entités de transport ou de logistique aux jeunes et aux publics en reconversion. Mais si les difficultés restent prégnantes pour changer les esprits et les regards, les acteurs s’accordent cependant sur un point positif : celui de pouvoir s’appuyer sur un écosystème riche, vertueux et actif. « On s’autocritique souvent, mais nous pouvons êtes fiers des efforts engagés par le secteur sur la voie du recrutement, de la valorisation et promotion des métiers. Nous sommes nombreux et nous allons dans le même sens. Tous ensemble, il n’y a pas de raison que nous n’y arrivions pas », conclut Valérie Dequen

 

 

> Retrouvez ici l'intégralité des articles du dossier Sous tension, la logistique cultive son attractivité.

Focus

Le Lab RH de France Supply Chain, au service de l'attractivité du secteur

Un RH qui veut dire « richesses humaines » plutôt que « ressources humaines » : au Lab RH de France Supply Chain, c’est avant tout l’humain qui est mis au centre, afin de faire la promotion et d’améliorer l’attractivité de la branche.

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Ce lab regroupe une dizaine de professionnels : DRH, spécialistes du recrutement et représentants du corps enseignant. « Nous avons trois grands objectifs : tout d’abord, sensibiliser à l’aspect stratégique de la supply chain, en allant vers les comités de direction, les pouvoirs publics et les écoles. Ensuite, aider et soutenir les acteurs de la formation pour les faire progresser. Enfin, multiplier les réalisations et avoir un impact le plus large possible, à travers la publication de guides, la signature de partenariats entre les entreprises de France Supply Chain et les écoles, etc. », explique Guillaume Noirtin, directeur talent acquisition chez FM Logistic et membre du Lab RH. Se réunissant une fois par mois, le Lab RH affiche déjà de nombreuses publications depuis son lancement. « Notre panorama des formations nous a permis de recenser plus de 100 cursus en France et a été notre publication la plus téléchargée », raconte Marie-Laure Furgala, directrice de l’Isli au sein de Kedge Business School et membre du Lab RH. « Nous avons également collaboré avec Michael Page pour une étude sur les tendances et nouveaux métiers de la supply chain, qui est une ressource formidable pour des formations comme la nôtre afin de mieux répondre aux besoins du secteur ». Autre initiative du Lab RH, la création d’un Lab Jeunes qui prendra bientôt son autonomie au sein de l’association professionnelle. « L’idée est venue par le biais d’un challenge lancé auprès d’étudiants de formations supply chain. Ils devaient réfléchir à l’attractivité ainsi qu’à la promotion des métiers, et préciser ce qu’ils attendent d’une association comme la nôtre. Les étudiants ayant proposé les meilleures idées ont pu être présents au conseil d’administration de France Supply Chain ». Le Lab Jeunes réunira des étudiants de quatre écoles pour donner leurs idées et aider à construire l'association France Supply Chain de demain en tant que futurs professionnels, tout en se donnant pour mission de faire découvrir la supply chain à leurs pairs à l’aide d’outils variés : réseaux sociaux, salons, portfolios. De quoi éclairer les besoins de ces nouvelles générations : « Comment mieux parler aux jeunes ? En leur donnant directement la parole ! », résume Marie-Laure Furgala.

 

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